samedi 27 février 2016

"Notre Château" de Emmanuel Régniez


“Notre Château” de Emmanuel Régniez.
Ed. Le Tripode 2016. Pages 141.

Résumé: Un frère et une sœur vivent reclus depuis des années dans leur maison familiale, qu’ils ont baptisée « Notre château ». Seule la visite hebdomadaire du frère à la librairie du centre ville fait exception à leur isolement volontaire. Et c’est au cours de l’une ces sorties rituelles qu’il aperçoit un jour, stupéfait, sa sœur dans un bus de la ligne 39. C’est inexplicable, il ne peut se l’expliquer. Le cocon protecteur dans lequel ils se sont enfermés depuis vingt ans commence à se fissurer.
On pourrait penser au film Les Autres de Alejandro Amenábar, de Shining de Kubrick. Ou à La Maison des feuilles de Danielewski. En reprenant à son compte l’héritage de la littérature gothique et l’épure de certains auteurs du nouveau roman, Emmanuel Régniez réussit un roman ciselé et singulier, qui comblera les amateurs d’étrange.

La 7 de la page 7: “Nous ne pouvions pas beaucoup sortir et cette saison était propice aux rêveries”

Premier roman de Emmanuel Régniez, “Notre château” est d’une qualité rare pour un premier roman. Si au début, les répétitions m’ont fait un peu peur, au fil des pages, je m’y suis faite (parfois même, j’en redemandais…) Elles rythment le récit et forment un mélodie littéraire assez efficace. Régniez fait le choix de se concentrer sur l’ambiance de son roman. Les personnages font partie de cette atmosphère. On reste enfermé dans ce château en leur compagnie. On les trouve inquiétants, on s’interroge sur qui ils sont réellement. Sont-ils des fantômes venus nous hanter depuis une époque lointaine, nous racontant l’histoire de leurs morts mystérieuses?  Pourquoi ne peuvent-ils pas sortir? Quels sont les secrets qu’ils nous cachent.
Véritable hommage à la littérature angoissante, on ne peut s’empêcher de trouver des similitudes avec “Nous avons toujours vécu au château” de Shirley Jackson. Les ambiances se chevauchent et les personnages nous inquiètent par les mêmes procédés. On se demande où Régniez nous emmène. Quelle douloureuse blessure se cache derrière les visages blêmes de Véra et d’Octave.
On entre dans ce château avec plaisir et frissons. On la quitte en gardant la chair de poule mais en soupirant de déception que cela soit déjà fini. Une envie de ne pas quitter le château de Régniez nous étreint et on ne souhaite qu’y retourner. Et vite!
Les amateurs du genre seront ravis de lire “Notre château” de Emmanuel Régniez. On attend la suite de cet auteur avec impatience. Beaucoup d’impatience.  

Extrait: “Nous avons été tristes. Très tristes. J’ai pleuré. Véra a pleuré. Nous avons pleuré. Puis est arrivé le jour où l’on cesse de pleurer, où il n’y a plus de larmes. On ne se sent pas mieux pour autant, mais on arête de pleurer. Parfois, quelques larmes reviennent. J’ai surpris, récemment, ma sœur un matin en train de sangloter dans la salle de bain. Elle n’a pas remarqué ma présence. Je l’ai laissée avec ses larmes. On doit être seul avec ses larmes.”

"Les sarment d'Hippocrate" de Sylvie M. Jema


“Les sarments d’Hippocrate” de Sylvie M. Jema.
Ed. Fayard 2003. Pages 343.

Résumé: Que se passe-t-il dans le service de gynécologie-obstétrique du CHU? D'abord des lettres anonymes de plus en plus obsédantes, de plus en plus menaçantes... Et puis ces morts qui se succèdent... Le lieutenant Brandoni et le capitaine Pujol de Ronsac enquêtent chez les notabilités bourgeoises entre rébellions familiales et adultères discrets. Les intrigues du passé et du présent régissent ces pouvoirs locaux où les trahisons finissent par s'avouer "allergiques" aux fidélités.

La 7 de la page 7: “J’ai fait moi-même  l’observation.”

Je ne suis pas très férue des policiers médicaux. C’est donc avec un peu de réticence que j’ai commencé “Les sarments d’Hippocrate”. Et au fil des pages, j’ai bien été obligée de laisser tomber les armes et de m’avouer vaincue. Non seulement l’intrigue est bien construite et structurée mais en plus on se laisse mener à la baguette du début à la fin. Pour une fois, je suis parvenue à accepter de me laisser emporter dans le monde médical et ses méandres de secrets et de mystères.
Là où Jema fait vraiment du bon travail réside dans le fait que je me suis laissée emporter par l’intrigue et non pas par les personnages principaux. C’est réellement l’histoire qui m’a intéressée. Les personnages sont presque secondaires (surtout les policiers) Leur sort ne m’importait que très peu. Par contre, l’intrigue en elle-même m’a emportée. C’est bien écrit et on tourne les pages avec plaisir. Si la fin n’est pas téléphonée, elle est pourtant assez “prévisible” après tout, on a de plus en plus d’indices et la liste des suspects est de plus en plus réduite. De ce fait, on commence à entrevoir la fin de l’intrigue sans pour autant être déçu par la résolution finale de l’enquête. Mais on est assez satisfait en refermant ce livre. On y passe un bon moment et on reste sur une lecture assez agréable. Un bon policier qui nous permet de passer quelques bonnes heures de relaxation à tenter de découvrir ce qui se cache derrière tout ces secrets. Sans doute pas le policier de l’année mais cela reste du moins un bon petit roman qui se laisse lire avec une facilité déconcertante.

Extrait: “Lorsqu’elle n’était pas de service le samedi ou le dimanche, Brandoni aimait le vendredi soir… C’était un soir de luxe, un de ces soirs où l’on peut prendre le temps de tout et de rien, passer des heures à rêver devant la cheminée en écoutant ses disques préférés, lire allongée sur le tapis ou sur le lit, un plateau pour grignoter à portée de main, faire une orgie de mauvais feuilletons américains ou de films d’aventures rocambolesques en sirotant une vodka, mollement lovée sous la couette, Arakis au creux du bras, ranger soudain sa bibliothèque entière jusqu’à trois heures du matin… Un soir où le temps s’abolit, s’étire sans repère et sans contrainte, puisque le lendemain, il n’y a pas d’obligation d’heure ou d’activité…”

"Le Troisième Jumeau" de Ken Follet


“Le Troisième Jumeau” de Ken Follet
Ed. Le Livre de Poche 1996. Pages 569.
Titre Original: “The Third Twin”

Résumé: Comment deux vrais jumeaux, dotés du même code ADN, peuvent-ils être nés de parents différents, à des dates différentes ? Tel est pourtant l'extraordinaire cas de Steve, brillant étudiant en droit, et de Dennis, un dangereux criminel qui purge une peine de prison à vie. Pour s'être intéressée de trop près à cette impossibilité biologique, Jeannie Ferrami, jeune généticienne de Baltimore, va déchaîner contre elle l'Université et la presse, pendant que Steve, dont elle s'est éprise, est accusé de viol, sa victime l'ayant formellement reconnu... Une seule hypothèse : l'existence d'un troisième jumeau.

La 7 de la page 7: “S’il parvenait à détacher la canalisation, le ventilateur aspirerait l’air du débarras au lieu de le puiser à l’extérieur de l’immeuble.”

“Le Troisième Jumeau” s’annonçait bien. Un thriller mêlant les mystères de l’ADN et une intrigue assez complexe qui permettrait de passer quelques bonnes heures dans une atmosphère rapide et légèrement angoissante. Malheureusement, ce n’est pas du tout ce qu’il s’est passé. Que du contraire.
Premièrement, on a l’impression que tout ce que sait Follet sur la science et l’ADN se résume à ce qu’il a pu trouver sur Wikipédia. Les informations (parfois vaseuses) qu’il nous livre sont caducs et mixées à la sauce Follet afin de coller au récit.
Deuxièmement, l’intrigue se déroule à une lenteur affligeante. Follet prend une plombe pour nous annoncer un éventuel troisième jumeau. Pourquoi? L’effet de surprise? D’accord. Mais alors, il aurait mieux valu éviter de donner l’information dans le titre et dans le quatrième de couverture… Et force est de constater que Follet se répète un nombre de fois incalculable. On a compris le principe de l’ADN… On a parfois l’impression de plus assister à une conférence scientifique plutôt que de lire un thriller.
Enfin, les personnages. Ils sont tellement englués dans une intrigue qui patauge qu’ils en deviennent navrants de complexité inutile et donc deviennent particulièrement ennuyeux. Il m’a été impossible de m’intéresser à ces personnages tellement cela tournait autour du pot.
Si il y avait de l’idée, c’est malheureusement un coup dans l’eau pour Follet. Il a tenté une histoire intelligente et complexe et nous a servi un thriller scientifique ennuyant pour le lecteur et un peu déroutant pour la vraisemblance de son intrigue. Un très gros dommage.

Extrait: “Son père prit un air vexé; elle avait beau lui en vouloir, il lui faisait pitié. Il souffrait de sa faiblesse autant que celle-ci faisait souffrir sa famille. Il était l’exemple même d’un de ces échecs de la nature: le fabuleux système grâce auquel se reproduisait la race humaine – le mécanisme complexe de l’ADN qu’étudiait Jeannie – était programmé pour que chaque individu soit unique. Comme une photocopieuse avec un système d’erreur intégré. Parfois, le résultat était bon: on avait un Einstein, un Louis Armstrong, un Andrew Carnegie. Et parfois un Pete Ferrami.”

"Le Portrait du Mal" de Graham Masterton


“Le Portrait du Mal” de Graham Masterton
Ed. Milady 2010. Pages 476.
Titre Original: “Family Portrait”

Résumé: Un portrait de douze personnages au visage en décomposition... La toile est l'oeuvre d'un certain Waldegrave, ami d'Oscar Wilde et passionné d'occultisme, mais elle est sans valeur et plutôt médiocre. Alors pourquoi la mystérieuse Cordélia Gray veut-elle à tout prix s'en emparer? Quel est le secret du portrait? Qui sont les douze personnages? Vincent Pearson, l'actuel propriétaire du tableau, découvre un lien entre cette œuvre démoniaque et une série de meurtres particulièrement abominables qui secouent depuis quelques mois la Nouvelle-Angleterre...

La 7 de la page 7: “Je pensais que cela m’aiderait peut-être à comprendre.”

“Le portrait du Mal” commence très vite et très bien. On y trouve directement un hommage au “Le Portrait de Dorian Gray” d’Oscar Wilde. L’intrigue est fluide et attrayante. Un “page-turner” efficace. Cependant la fin est un peu trop alambiquée à mon goût. C’est mon deuxième roman de cet auteur et j’ai eu la même sensation les deux fois. Un fin un peu trop faible en comparaison au reste de l’intrigue. Et c’est bien dommage car ses romans partent toujours bien pour finir comme un feu d’artifice annulé. Pourtant l’écriture est très agréable et l’atmosphère est particulièrement efficace. Peut-être que le problème vient de moi…
Je garde cependant “Le Portrait du Mal” comme un bon livre, ne serait-ce que pour l’hommage à Wilde et pour les bons moments passés au début. Pour le reste, je ne pense pas retourner vers cet auteur. Même si il ne faut jamais dire “fontaine” (jamais deux sans trois…)

Extrait: “Chaque peinture est différente. Chaque peintre a sa technique particulière d’appliquer sa peinture. Certaines fois, lorsque je restaure un tableau, je sens la personnalité du peintre comme si elle m’imprégnait. Je sais qu’il approuverait ce que je tente de faire; je sais qu’il apprécierait mes soins minutieux. Mais ce tableau, ce Waldegrave, on dirait un marécage; plus je travaille dessus, plus il tombe en morceaux. J’ai l’impression  d’être un médecin légiste essayant de disséquer un cadaver en décomposition. Les visages sur ce tableau, lorsque je les touche, je n’ai même pas la sensation de peinture. On dirait de la chair en putréfaction.

"Le mauvais sujet" de Martha Grimes


“Le Mauvais Sujet” de Martha Grimes
Ed. Pocket 2010. Pages 441.
Titre Original: “The Man with a load of mischief”

Résumé: Long Piddleton est un charmant village du nord de l'Angleterre. Mais une série de meurtres abominables vient entacher le manteau de neige immaculé de cette bourgade paisible. Des cadavres sont retrouvés dans des positions insolites - à califourchon sur une poutre ou bien couché sur une table, un roman policier à la main - dans des auberges de campagne aux noms pittoresques et évocateurs : Le Mauvais Sujet, La Forge, Le Cygne à Deux Têtes..
Pour arrêter cette hécatombe, Scotland Yard dépêche sur place l'un de ses meilleurs limiers : Richard jury, un homme aussi tenace que chevaleresque. De la ténacité, il va lui en falloir pour démasquer le tueur en série parmi une foule de suspects : un aubergiste, un haut fonctionnaire déchu, une jeune. poétesse romantique, un pasteur, un auteur de polars, une poule de luxe et bien d'autres. Par bonheur, jury trouvera un précieux allié en la personne de Melrose Plant, châtelain dilettante que la nature a pourvu d'un cerveau fort efficace

La 7 de la page 7: “Comme les pouvoirs prophétiques de Mme Whitersby étaient un tant soit peu émoussés par le gin, Tom ne lui avait guère prêté attention.”

Avec “Le Mauvais Sujet “ , on a l’impression de lire un vieux policier bien anglais. Mais en fait, ce n’est ni “vieux” ni “anglais” et vient un moment où on s’en rend compte. Je ne dis pas que je n’ai pas aimé, même plutôt le contraire. Cependant, force est de constater que dans le style “vieillot”, je préfère quand même quand c’est du “pur jus”. L’écriture n’est pas désagréable mais l’intrigue est un peu trop désuète. Les personnages sont plutôt bien écrits et on prend plaisir en leur compagnie. Mais j’ai parfois eu l’impression d’être forcée dans ma lecture. J’aime les bon vieux policier anglais, donc il n’y avait aucune raison de ne pas aimer ce “pas si vieux américain”. Je vais couper la poire en deux et dire tout simplement que c’est une “bonne petite histoire policière” mais sans plus. Il lui manque ce petit charme britannique.

Extrait: “Il s’était mis à neiger – une fine poudreuse assez sèche, et non pas les gro flocons humides qui s’accrochent à vos cils et restent collés sur la langue. Jury aimait la neige, mais pas la variété londonienne qui se transforme en bouillie grisâtre et ne sert qu’à gêner la circulation. Les flocons tombaient de plus en plus drus, un peu comme du sucre en poudre, et lui cinglait le visage tandis qu’il remontait Islington High Street.”

mardi 16 février 2016

"La vérité toute nue" de David Lodge


“La vérité toute nue” de David Lodge.
Ed. Rivages 2007. Pages 116.
Titre original: “Home Truths”

Résumé: À qui David Lodge veut-il faire rendre gorge ? À Adrien, l’écrivain qui ne se remet pas d’un premier succès des années auparavant ? À Éléonore, sa femme, avec qui il vit retiré à la campagne ? À Sam, leur ami d’université qui a réussi à Hollywood dans les feuilletons télévisés ? À Fanny Tarrant, la jeune journaliste effrontée qui publie un article féroce sur Sam dans un journal du dimanche ? Sur qui se refermera le piège imaginé par Sam avec la complicité d’Adrien ? Brillant, toujours drôle, David Lodge s’intéresse au conflit entre littérature et exigences médiatiques.

La 7 de la page 7: “Eléonore: Tiens, cache ça.”

Texte théâtral contemporain, “La vérité toute nue” est une critique acerbe des médias plutôt réussie. Tout d’abord, les didascalies de Lodge nous permettent de bien mettre en place un texte assez riche. Adrien et Eléonore sont mariés. Dès le début de son texte, Lodge met bien en évidence les tensions déjà présentes dans le couple:
Adrien: Tu sais que ces corn-flakes contiennent quatre-vingt-quatre pour cent de carbone, dont huit pour cent de glucides?
Eléonore, absorbée dans son journal, ne répond pas. Adrien prend une autre boîte et l’examine.
Adrien: L’All-bran contient seulement quarante-six pour cent d’hydrates de carbone, mais dont dix-huit pour cent sont des glucides. Qu’est-ce qui vaut mieux? Dix-huit pour cent de quarante-six ou huit pour cent de quatre-vingt-quatre?
Eléonore ne répond pas. Adrien prend une autre boîte.
Adrien: Purmuesli est sûrement meilleur. Soixante-sept pour cent d’hydrates de carbone dont moins de un pour cent de glucides. Et pas de sel. C’est peut-être pour ça que ça n’a plus aucun gout.”
Adrien parle avec sa femme de choses qui visiblement ne l’intéressent absolument pas. Mais cette routine semble quotidienne. Ni l’un, ni l’autre ne fait réellement attention à l’autre.  
Si Lodge met directement en avant les conflits entre Adrien et Eléonore, il ne met pas moins de temps pour s’engager dans la relation entretenue par Adrien et Sam. Le personnage de Sam n’est pas encore apparu dans la pièce, mais Lodge prend la décision de directement l’inclure dans le discours de la pièce. Par le biais de l’introduction de Sam, Lodge nous sert également le portrait du dernier personnage,Fanny. C’est par sa critique journalistique qu’on est mis en présence, non physique, de Fanny.
Eléonore (lisant): Il possède une ferme-manoir du XVIIème dans le Kent avec cent acres de terres cutlivables. On dirait qu’il s’amuse à jouer les paysans, quoiqu’à y regarder de plus près, il se pavane sur ses terres avec des jeans Ralph Lauren serrés dans des bottes de cow-boy et soutenus par des bretelles. Il a besoin de bretelles, pour tout dire, à cause de son ventre proéminent. Le poids est un sujet délicat avec lui. Surtout, ne questionnez jamais Sam sur son poids, dit de lui u ami, ni sur sa moumoute. J’ignorais qu’il portait une moumoute. Un ami? (A Adrien.) C’est toi?
Adrien: Où est la marmelade allégée?
Eléonore: (…) Mme Sharp ayant quitté le ranch trois mois plus tôt pour partir avec le réalisateur du dernier feuilleton de son mari. (…) Je veux bien le croire. Est-ce que ça la regarde?
Adrien: Elle fait son job.
Eléonore: (…) Je l’ai quitté avec la certitude d’avoir trouvé la réponse: l’insupportable vanité de cet homme.”
Eléonore guette une réaction d’Adrien. Il étale une fine couche de confiture sur une tranche de pain grillé.
Adrien: Un peu dur.
Eléonore: Dur! C’est infect! (…) Sam va être effondré quand il verra ça.
Adrien: Mouais, il l’a peut-être un peu cherché.
Eléonore: Tu n’es pas très sympa avec ton meilleur ami.
Adrien: J’ai dit “mon plus ancien ami”. “
Ce qui nous amène au personnage de Sam. Peu présent physiquement, il est pourtant palpable durant toute la pièce. Ce personnage est particulièrement (et ouvertement) misogyne. Mais c’est grâce à ce personnage que Lodge met en place sa critique des médias. Dans cette vision, Lodge n’épargne personne: ni les médias ni ceux qui en profitent.
Sam: La culture de la jalousie, tu veux dire. Il y a des gens dans ce pays qui ne supportent pas la réussite de leur voisin. Si tu bosses dur, que tu te fais un nom, que tu ramasses un peu de fric, ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour avoir ta peau.
Adrien: Mais c’est toi qui leur offres ce pouvoir en acceptant d’être interviewé par des gens comme Fanny Tarrant.”
N’oublions pas que Lodge est anglais. La presse anglaise fait parfois (souvent) des choix éditoriaux douteux.
Sam propose alors à Adrien de piéger Fanny. Adrien n’hésite pas un seul instant. Grâce à ce procédé, on entre directement dans le vif du sujet. Que doit taire Adrien? Que peut-il révéler? Que doit-il révéler pour être assez intéressant pour Fanny?
De fil en aiguille, Lodge nous expose les tensions entre les personnages. Tout le monde est éclaboussé par la plume de Lodge. Qui est l’interviewé? Qui est l’interviewer? Qui se joue de qui? Lodge prend le parti d’exposer aussi bien le sujet que l’auteur. Tout deux ont besoin l’un de l’autre. Critiquer un média mais jouer son jeu est hypocrite. Lodge est ici, très clair. Si vous voulez vivre heureux loin des médias, restez, tout simplement, très loin d’eux. Ne vous révélez pas.
Adrien comme Fanny se disent trop de choses personnelles. Lorsque Fanny quitte Adrien, ce dernier sait que l’article qu’elle pourrait écrire lui serait préjudiciable. Adrien le sait. Eléonore le sait. Fanny le sait. Cette dernière est celle, qui au final, aura le dernier mot puisque c’est elle qui écrira l’article.
C’est donc dans la tension que Eléonore, Adrien et Sam attendent la parution de l’article. Mais soudain, sans prévenir, Fanny vient leur annoncer une bonne nouvelle. L’article passera inaperçu puisqu’il sera évincé par une nouvelle beaucoup plus importante: La mort de Diana. Une information en chasse une autre.
Non seulement “La vérité toute nue” est une critique intelligente des médias et de ceux qui en profitent mais c’est également extrêmement bien écrit. Lodge tape juste et son texte est totalement maîtrisé. Nous vivons dans un monde dirigé par les médias. Cette pièce absorbe un mal sociétal adaptable à tout moment. Il y a toujours un journaliste pour écrire et une célébrité pour collaborer. Mais l’information reste une variable imprévisible qui peut disparaître aussi vite qu’elle est apparue. Notre société est voyeuse, s’en plaint, puis en redemande.

jeudi 11 février 2016

"La Peau sur les os" de Richard Bachman (Stephen King)


“La peau sur les os” de Richard Bachman (Stephen King)
Ed. J’ai Lu 1998. Pages 377.
Titre Original: “Thinner”

Résumé: Billy Halleck, bon époux, bon père, vit dans le Connecticut et exerce son métier d'avocat à New York. Boulimique, il pèse plus de cent kilos.
Un jour, il tue accidentellement en voiture une vieille gitane. Sa position de notable lui vaut de n'être condamné qu'à une peine de principe et les Gitans sont expulsés de la ville. C'est alors que Billy commence à maigrir, et de plus en plus. Il a beau se gaver, rien ne peut enrayer cette perte de poids qui risque l'amener à une issue fatale. Terrifié, il comprend alors que le chef de la tribu gitane lui a jeté un sort...

La 7 de la page 7: “Halleck nota aussi que ses jambes étaient devenues si longues et fuselées que l’on apercevait les bords de sa petite culotte de coton jaune par l’échancrure de son short.”

“La peau sur les os” est un roman assez angoissant. Halleck est victime d’un sort et quoi qu’il arrive il commence à maigrir, inlassablement. Si au départ, la situation est plutôt avantageuse pour Halleck (il s’empiffre mais maigris jusqu’à trouver son poids idéal) elle tourne vite au vinaigre. En effet, vient un moment où la santé de Halleck commence à défaillir. Le roman est assez court (mais parfois un peu long...) mais la critique des diktats de la mode et du poids est bien présente sans pour autant “manger” l’histoire. La minceur est légion mais à trop vouloir atteindre cette perfection, on se prive de l’essentiel. Tel est le message sous-jacent de ce roman. King le dissimule pourtant bien dans une histoire de sortilège et de vengeance. Parfois on ressent quelques longueurs dans le récit mais ce n’est pas dérangeant au point où cela nuit trop à la lecture. Pour le dire plus simplement, une nouvelle aurait tout autant fait l’affaire que ces 377 pages. King emploie parfois quelques stratagèmes trop utilisés pour qu’on soit convaincu par la pirouette. Cela se laisse lire, c’est assez bon mais on est encore assez loin des tout grands romans de l’auteur.

Extrait: “En un sens, c’était un mensonge. Il avait atrocement mal. Pourtant d’une certaine manière, c’était vrai aussi. La présence de Ginelli le calmait plus que l’Empirisme, plus même que le Chivas. On souffre toujours plus quand on est seul.”

mercredi 10 février 2016

"La femme en vert" de Arnaldur Indridason


“La femme en vert” de Arnaldur Indridason
Ed. Points 2007. Pages 348.
Titre Original: “Graforthögn”.

Résumé: Dans une banlieue de Reykjavik, au cours d'une fête d'anniversaire, un bébé mâchouille un objet qui se révèle être un os humain.
Le commissaire Erlendur et son équipe arrivent et découvrent sur un chantier un squelette enterré là, soixante ans auparavant. Cette même nuit, Eva, la fille d'Erlendur, appelle son père au secours sans avoir le temps de lui dire où elle est. Il la retrouve à grand-peine dans le coma et enceinte. Erlendur va tous les jours à l'hôpital rendre visite à sa fille inconsciente et, sur les conseils du médecin, lui parle, il lui raconte son enfance de petit paysan et la raison de son horreur des disparitions.
L'enquête nous est livrée en pointillé dans un magnifique récit, violent et émouvant, qui met en scène, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, une femme et ses deux enfants. Une femme victime d'un mari cruel qui la bat, menace ses enfants et la pousse à bout.
Voici à nouveau le commissaire Erlendur et ses adjoints Elinborg et Sigurdur Oli dans un récit au rythme et à l'écriture intenses et poignants, aux images fortes et aux personnages attachants et bien construits. La mémoire est comme toujours chez Indridason le pivot de ce roman haletant, qui hante longtemps ses lecteurs.
Un Indridason grand cru!


La 7 de la page 7: “Il se souvenait très précisément de l’endroit où il l’avait découverte et il précéda le groupe en sautant d’un bond dans le trou; il se dirigea sans hésitation vers l’emplacement, dans la terre sèche.”

Cela faisait un petit moment que “La femme en vert” trônait dans ma PAL. Pour je ne sais quelle raison, j’ai longtemps repoussé la lecture de ce roman noir islandais. Pourtant les critiques étaient assez bonnes, très bonnes même. Le quatrième de couverture est aussi assez alléchant. Mais toujours un autre livre prenait sa place sur ma table de nuit. Mais maintenant, c’est fait. J’ai enfin lu “La femme en vert”. Et maintenant que je l’ai lu, j’en suis plutôt contente. Il est maintenant dans ma pile de “livres lus” et ce n’est pas plus mal mais pas forcément pour les meilleures des raisons. En effet, je me suis ennuyée pendant tout le roman. Mais vraiment ennuyée. Je me suis trouvée enfermée dans un roman lent et long pour lequel j’ai eu du mal à garder de l’intérêt. Seul l’histoire concernant la famille et les violences conjugales m’ont interpellés. Cette partie de l’histoire était intéressante et donnait un certain rythme. Les personnages de cette partie sont attachants et assez bien écrits. Tout ce qu’il manque à l’intrigue principale. Pas moyen de m’investir dans l’enquête en elle-même. Alors que les deux histoires sont connectées, et on le sait, seule une d’entre elles n’a trouvé grâce à mes yeux. Je ne vais pas en faire des lignes et des lignes parce que, franchement, “La femme en vert” ne sera pas mon roman de l’année. Ce n’était tout simplement pas pour moi. J’aime les enquêtes policières fortes et rythmées. Ici, je n’ai pas trouvé beaucoup plus qu’un bout d’ennui et de lenteur rythmée au froid de l’Islande.

Extrait: “Il remarqua qu’il s’agissait d’un os humain dès qu’il l’enleva des mains de l’enfant qui le mâchouillait, assis par terre. La fête d’anniversaire venait juste d’atteindre son point culminant dans un bruit assourdissant. Le livreur était venu puis reparti, et les garçons s’étaient goinfrés de pizzas en avalant des boissons gazeuses et en se criant constamment les uns les autres. Ensuite, ils avaient quitté la table à toute vitesse comme si quelqu’un leur en avait donné le signal et s’étaient remis à courir de tous les côtés, certains armés de mitraillettes, d’autres, plus jeunes, brandissaient des voitures ou des dinosaures en plastique. Il ne comprenait pas vraiment en quoi consistait le jeu. A ses yeux toute cette agitation se résumait à un bruit à vous rendre fou.”

mardi 2 février 2016

"La couleur pourpre" de Alice Walker


“La couleur pourpre” de Alice Walker.
Ed. Pavillons Poche (Robert Laffont) 2014. Pages 344.
Titre Original: “The Color Purple”

Résumé:  Depuis leur séparation, depuis des années, Nettie et Celie, deux jeunes Noires, sœurs tendrement unies, n'ont cessé de s'écrire. Mais aucune missive, jamais, n'est parvenue ni à l'une ni à l'autre.
C'est que Celie, restée là-bas, près de Memphis, subit la loi d'un mari cruel qui déchire toutes les lettres venues d'Afrique – où Nettie est missionnaire. Alors Celie, la femme-enfant, écrira via le bon Dieu, qui, lui, sait tout... Pourquoi, entre elles, cette correspondance déchirante et sans fin, obstinée, presque immatérielle ?

La 7 de la page 7: “Mr... il est venu ce soir justement.”

Le discours est clair et précis. Il frappe tel un sniper littéraire et nous touche en plein milieu de nos certitudes. Certitudes d’avoir déjà lu ce qu’il y avait à lire sur la question afro-américaine. Et là, on ouvre “La couleur pourpre” et on est pris au coeur qui se serre en lisant le témoignage poignant de Celie.
Walker frappe juste dès le départ, pas de faux semblant, pas de complaisance. On va s’en prendre plein la figure et on ne sera pas ménagés.
L’histoire est simple et pourtant efficace. L’intrigue est riche, beaucoup plus riche qu’on ne pourrait d’abord penser. Petite fille maltraitée et donnée à un homme beaucoup plus vieux qu’elle, le destin de Celie semble totalement tracé. Et bien non. Même au fin fond du Sud Américain et ayant grandi dans des conditions déplorables, on peut continuer à rêver et vivre une extraordinaire histoire. On souffre avec Celie. On partage ses joies et ses colères. On s’insurge contre les injustices sociales et celles de la vie.
Les passages de Nettie m’ont cependant moins embarquée. Probablement parce que je souhaitais de tout coeur retourner voir ce qu’il se passait pour Celie.
Un livre à mettre entre toutes les mains aussi bien pour le récit implacable que pour la plume assumée et efficace.

Extrait: “L’homme il se met partout et il pourrit tout. Il est sur la boîte de céréales, dans ta tête, sur toutes les radios. Il veut te faire croirequ’y a que lui partout. Et quand tu le crois, alors tu penses que Dieu c’est lui. Mais c’est pas vrai.  Donc quand t’as envie de prier et que l’homme se met devant toi comme si c’était pour lui, envoie-le balader. Pense aux petites fleurs, au vent, à l’eau, à un gros caillou. Mais c’est pas facile , laisse-moi te l’dire. Ca fait si longtemps qu’il est là, il veut pas bouger. Et il menace le monde avec les éclairs, les inondations, les tremblements de terre. Faut qu’on se défende. Maintenant je pris plus très souvent. Et chaque fois que je m’représente un caillou dans ma tête, c’est pour le lancer! Amen!”

lundi 1 février 2016

"Chroniques de San Francisco" de Armistead Maupin


“Chroniques de San Francisco” de Armistead Maupin
Ed. 10/18 2005. Pages 382.
Titre Original: “Tales of the City”

Résumé: Les seventies sont sur le déclin, mais San Francisco, la fureur au coeur et au corps, vibre encore d'une énergie contestataire et s'affiche dans les rues aux couleurs d'enseignes et de néons tapageurs. Tout droit venue de Cleveland, Mary Ann Singleton, vingt-cinq ans, emprunte pour la première fois les pentes du "beau volcan". Elle plante son camp au 28 Barbary Lane, un refuge pour "chats errants". Logeuse compréhensive et libérale, Mme Madrigal règne en matriarche sur le vieux bâtiment qui abrite une poignée de célibataires : Mona, rédactrice publicitaire, son colocataire Michael, chômeur et disciple de "l'amour interdit" et le beau Brian Hawkins, coureur de jupons insatiable.

La 7 de la page 7: “Tu lis ce genre de truc? s’enquit MaryAnn.”

Commencer les “Chroniques de San Francisco”, c’est entrer dans un nouveau monde et vouloir y rester pour toujours. Le premier point fort de ce roman, ce sont les personnages hauts en couleur. Ils sont chacun une petite part de nous, on va et on vient entre la réserve de MaryAnn et le côté excentrique de Michael. On se pose sous l’aile de Mme Madrigal et on s’y réfugie comme un poussin qui ne veut plus bouger de bonheur.
Mais au-delà des personnages, on se laisse emporter par l’atmosphère de San Francisco. Cette ville qui est la leur devient vite la nôtre. Ville du bonheur et de la tolérance, on ne rêve que de s’y installer, baigné par le soleil de Californie. Ode à la vie dans ce qu’elle a de plus sacrée et nous pressant à profiter de tout, tout de suite et de ne jamais abandonner nos rêves et de se laisser porter par la vie car elle seule sait où elle nous conduit, “Chroniques de San Francisco” est bien plus qu’un roman sur différents personnages aux rencontres improbables. Bien sûr, on attend les suites avec impatience afin de retrouver cette histoire qui n’aura, on l’espère, jamais de fin. 

Extrait: “ Elle était plus déprimée que jamais. Elle restait assise sur son sofa en osier, à grignoter et à regarder la baie. L’eau était si bleue mais le prix à payer n’était-il pas trop élevé? Combien de fois n’avait-elle pas déjà menacé de rentrer à Cleveland? Combien de fois n’avait-elle pas senti l’appel de service familial en porcelaine et de la maison à deux étages? Loin des pentes de ce beau volcan qu’était San Francisco. Cette impression d’être un colon sur la lune finirait-elle par cesser?”