“Fuck America” de
Edgar Hilsenrath
Ed. Point 2010. Pages
281.
Titre Original: “Fuck
America. Bronsky Geständnis.”
Résumé: 1952 : dans une cafétéria juive de Broadway, Jakob Bronsky, tout
juste débarqué aux Etats-Unis, écrit son roman sur son expérience du ghetto
pendant la guerre : Le Branleur ! Au milieu des clodos, des putes, des
maquereaux et d'autres paumés, il survit comme il peut, accumulant les jobs
miteux, fantasmant sur le cul de la secrétaire de son futur éditeur, M
Doublecrum. Dans la lignée de Fante, Roth et Bukowski, Fuck America est un
témoignage étourdissant sur l'écrivain immigré crève-la-faim.
La 7 de la page 7: “Grüspan hoche la tête.”
Autant prévenir tout
de suite, je suis une très grande admiratrice de l’oeuvre de Hilsenrath. J’aime
le décallage entre son propos et sa manière de l’aborder. On est parfois dans
le cynisme, souvent dans la brutalité et toujours dans le génie.
“Fuck America” ne
déroge pas à la règle. Après s’être attaqué au nazisme, aux ghettos ukrainiens,
Hilsenrath s’attaque avec ce livre à l’émigration au pays de tous les rêves,
les Etats-Unis. Le rêve américain est souvent vendu comme étoilé et pétillant. Oubliez ça avec Hilsenrath. “Fuck America” est un titre à la mesure du propos
tenu par l’auteur. Il y met en scène un jeune auteur survivant de la deuxième
guerre mondiale. La résonnance personnelle est plus qu’interpellante quand on
connaît un peu la vie de l’auteur. Quelle partie du personnage est Hilsenrath
et quelle partie est purement Bronsky, le jeune émigré? La frontière est mince
et le lecteur se retrouve à lire ce roman comme si Hilsenrath en était le
protagoniste.
La plume est
percutante et le propos acéré. L’auteur y démonte tous les mythes américains.
On est pas mieux servi en Amérique que dans un guetto finalement. On reste le
juif. On reste l’émigré. On reste la cible des idées bien pensantes et des
préjugés à la dent dure. L’auteur se vautre dans ces idées reçues et s’y
prélasse avec délectation. Bronsky, héro pathétique d’une histoire
rocambolesque, est touchant. Et détestable en même temps. Mais il n’est que le
produit de son environnement. Il réplique aux coups de la seule manière qu’il
connaisse. Anomalie d’un système américain qui se veut libéral en prônant des
idées conservatrices, Bronsky met à mal la vision idéalisée qu’ont les
occidentaux des Etats-Unis. Sauveurs de la guerre mais dans le refus d’aider
sur leur propre sol, les américains laissent les nouveaux émigrés reformer les
guettos de la guerre. Un abandon particulièrement bien organisé et qui oblige
les émigrés de se comporter à nouveau comme s’ils devaient survivre à un ghetto
de la guerre.
Le texte de
Hilsenrath est puissant. Profond. Faussement léger. Un vrai bonheur. Un pur
régal. Décidément, Hilsenrath fait sans aucun doute partie de mes auteurs
préférés.
Extrait: “Il ne faut jamais dire à une jeune femme
qu’on est seul, a dit l’agent matrimonial. Et il ne faut jamais dire qu’on a
pas de date, parce que ça signifie qu’on est un raté. “J’y avais pas pensé.”
“Ca ne fait pas assez longtemps que vous êtes dans le pays, c’est tout.” “C’est
vrai.” “Et puis, il ne faut jamais demander à une jeune femme si elle compte
vous rencontrer le soir même. Ca n’est pas convenable. Ou le lendemain, un
samedi de surcroît. Ou le surlendemain, un dimanche de surcroît. Ca ne se fait
pas. Vous vous comportez comme si vous ignoriez que dans ce pays, une fille ne
peut pas admettre qu’elle n’a pas de rendez-vous le week-end. Ca n’existe pas.
Une femme qui a réussi, une femme accomplie se doit d’être mariée ou d’avoir au
moins un rendez-vous le week-end. Vous comprenez?” “Oui” j’ai dit.”
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