“L’Opéra de quat’sous” de Bertold
Brecht
Ed. L’Arche 2007. Pages 94.
Titre original: “Die
Dreigrosschenoper”
Résumé: Un dimanche, en pleine ville, Un homme, un couteau dans le cœur : Cette ombre qui se défile, C'est Mackie-le-Surineur.
La 7 de la page 7: “D’ailleurs, tu
n’as pas à poser de questions, mais seulement à enfiler tes frusques.”
Comencons d’abord par raconter
l’histoire de cet “Opéra de quat’sous”. Beaucoup en ont déjà entendu parler
sans pour autant savoir ce que raconte cette pièce.
Donc, dans l’Angleterre
Victorienne, deux bandes rivales s’affrontent. D’un côté, Peachum, le roi des
mendiants. De l’autre, Mackie-le-Surineur, un criminel. Tout commence lorsque
Mac épouse Polly, la fille de Peachum. Ce qui ne plaît absolument pas à ce
dernier. Mais il se dit qu’il serait intéressant de faire d’une pierre deux
coups en se débarrassant d’un gendre dont il ne veut pas mais surtout en se débarrassant d’un de ses principaux concurrents. Il veut donc faire arrêter
Mackie-le-Surineur. On découvre que Mac est un homme sans scrupule, déjà marié
à une autre et qui ne se soucie que de lui. Il se fiche du reste. Après
plusieurs rebondissement, Mac est condamné à la potence. A la dernière minute,
il est gracié.
En quoi cette pièce peut-elle être
considérée comme majeure, non seulement dans l’œuvre de Brecht mais aussi dans
le théâtre dans son ensemble? En effet, le premier point important, c’est que
Brecht ne conçoit pas tout seul cette pièce puisqu’elle est largement inspirée
par “L’Opéra des gueux” de John Gray
(1728).
C’est quand l’œuvre de Gray reçoit
un succès retentissant à Londres que la pièce est traduite en allemand par
Elisabeth Hauptmann. Après un refus, Brecht accepte quand même de se mettre au
travail et s’associe à Kurt Weill pour présenter une version brechtienne de
l’opéra de départ.
Et c’est justement là que réside
l’intérêt de “L’Opéra de quat’sous” , c’est une pièce fondamentalement
brechtienne qui se démarque des opérettes précédentes. Souvent assez légères,
ici, le propos est politique. Marxiste des pieds jusqu’au bout de sa plume,
Brecht saisi l’occasion de servir son propos dans “L’Opéra de quat’sous”.
Attaque en règle contre le milieu des affaires dont les bénéfices sont la seule
importance, se fichant de l’élément humain. Qui est le pire des deux
protagonistes? Peachum qui profite du malheur des autres pour s’enrichir? Ou
Mac qui s’enrichit en agissant comme un criminel? Vers qui notre cœur balance?
Indubitablement vers Mac qui pourtant est bien loin d’un Robin des bois. Mais,
dans notre inconscient, c’est Peachum le véritable coupable qui rend la société
moins bonne que ce qu’elle aurait été sans lui. C’est l’homme d’affaires qui
est le seul méchant de cette œuvre.
Or Mac n’est pas mieux que Peachum
mais il semble plus “correct”:
“Tu
t’élèveras bien assez, si tu te mets en tête de me concurrencer. A-t-on jamais
entendu dire qu’un professeur d’Oxford laisse n’importe quel assistant signer
ses erreurs scientifiques? Il signe lui-même.”
Mais il ne faut pas se méprendre,
Mac est un sale type! Et Brecht ne s’en cache pas. Il demande simplement au
public de faire un choix entre la peste et le choléra. Et c’est exactement ce
que le public fait. Il choisit Mac sans concession.
“Peachum:
(...) Je ne suis qu’un pauvre homme (...) Les lois ne sont faites que pour
exploiter ceux qui ne les comprennent pas, ou ceux que la misère la plus noire
empêche de s’y conformer (...)”
Et c’est justement pourquoi on a
tendance à se ranger du côté de Mac. On nous donne l’impression que, lui, n’a
pas eu le luxe de choisir son camp. Au contraire de Peachum. Et c’est ici que
la pièce de Brecht tourne au chef-d’œuvre. Il y inclut un procédé (qui sera
d’ailleurs décrit comme “la distanciation brechtienne”) qui ne permet pas au
public de se laisser emporter par la pièce. Brecht met le sens critique de son
public à l’épreuve. Contradictions dans les personnages qui se contredisent
dans la même phrase; confusion entre
le discours et la situation; éclatement du quatrième mur; et autres
techniques de mise en scène.
Brecht signe ici une pièce efficace
et engagée tout en restant agréable à lire, à voir et à écouter.
Extrait:”(...) Vous seriez tous en train de crever dans les cloaques de
Turnbridge si je n’avais pas consacré mes nuits blanches à chercher le moyen de
tirer un penny de votre misère. Je suis arrivé à la conclusion que si les
puissants de la terre sont capables de provoquer la misère, ils sont incapables
d’en supporter la vue. Car ce sont des faibles et des imbéciles, exactement
comme vous. S’ils ont à bouffer jusqu’à la fin de leurs jours, s’ils peuvent
enduire leur plancher de beurre, pour engraisser jusqu’aux miettes qui tombent
de leur table, ils ne peuvent pas voir de sang-froid un homme tomber
d’inanition dans la rue: évidemment il faut qu’il vienne tomber juste devant
leur porte.”
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