mercredi 15 juin 2016

"Va et poste une sentinelle" de Harper Lee.


“Va et poste une sentinelle” de Harper Lee.
Ed. Grasset 2015. Pages 333.
Titre original: “Go set a watchman”

Résumé: Jean Louise Finch, dite « Scout », l’inoubliable héroïne de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, est de retour dans sa petite ville natale de l’Alabama, Maycomb, pour rendre visite à son père Atticus. Vingt ans ont passé. Nous sommes au milieu des années 1950, à l’aube de la déségrégation, et la nation se déchire autour des questions raciales. Confrontée à la société qui l’a façonnée mais dont elle s’est éloignée en partant s’établir à New York, Jean Louise va découvrir ses proches sous un jour inédit et voir vaciller toutes les fondations de son existence, politiques, sociales et familiales.
Va et poste une sentinelle est le deuxième roman de Harper Lee, mais fut écrit avant le mythique Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, qui reçut le Prix Pulitzer en 1961. Dernier volet de ce qui devait être au départ une trilogie romanesque dont l’Oiseau moqueur aurait été le premier tome, ce roman inédit marque le retour, après soixante-cinq ans de silence, de l’un des plus grands auteurs américains du siècle.

La 7 de la page 7: “Le colonel Maycomb, persuadé que les indiens détestaient mener bataille en terrain plat, passa au peigne fin la frange septentrionale de la région à la recherche des Creeks.”


Ayant lu “Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur” pendant mes années d’adolescence, j’attendais beaucoup de “Va et poste une sentinelle”. Les critiques étaient pourtant assez mauvaises. Atticus serait devenu un vieil homme raciste entendait-on dire. J’ai donc attendu un peu avant de le lire. En effet, Atticus Finch représente ce combat pour ses convictions, pour la Justice. Etais-je prête à voir un de mes héros littéraires disparaître au profit d’un vieil homme aigri? Finalement, je l’ai terminée cette fameuse sentinelle! Verdict? Partagé votre honneur.
Avant toute chose, précisons que “Va et poste une sentinelle” est paru après “Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur” mais a été écrit avant. C’est un point important. Et apparemment, il a été publié en état. Et c’est donc le premier reproche que l’on peut faire à cette suite.
Atticus mit sa carrière en jeu, mit à profit les failles de l’accusation, mit tout son cœur dans sa plaidoirie devant les jurés et réussit ce qui ne l’avait encore jamais été ni ne le serait plus dans l’histoire du comté de Maycomb: il avait obtenu l’acquittement d’un Noir accusé de viol.” Première nouvelle. Dans cette version, Atticus a gagné son procès alors qu’il le perd dans “Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur”. Qu’on publie un roman “tel quel” est une chose mais le lecteur serait en droit de demander une certaine cohérence avec le premier roman. Soit. Nous ferons ici abstraction de ces contradictions et déciderons de trouver intéressant que Lee avait d’abord décider de faire gagner Atticus pour ensuite se rétracter. Etait-ce trop irréaliste? Trop naïf? En tout cas, force est de constater qu’elle a fait le bon choix. Si Atticus avait gagné ce procès, le récit du premier livre s’en serait trouvé biaisé vu qu’une des conclusions de l’oiseau moqueur était clairement qu’il y a des combats perdus d’avance qu’il faut quand même mener. Une victoire aurait mis à mal cette théorie.
Le deuxième gros reproche que l’on peut faire à “Va et poste une sentinelle” est probablement la disparition brutale de certains personnages auxquels on était particulièrement attachés. Certes ce sont ses personnages et Lee en fait ce qu’elle veut mais on aurait été en droit de demander des personnages remplaçants ayant plus d’épaisseur. Ce qui n’est pas réellement le cas. Au détour d’une petite phrase, certains disparaissent à jamais, ne nous laissant pas le temps de les regretter.
Et avec un peu de recul, c’est globalement tout ce qu’on peut reprocher à ce roman. La plume est toujours aussi efficace, le roman coule de lui-même. Certes, les personnages ont changés mais pas tant que ce qu’on peut croire.
Il faut bien garder en mémoire que “Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur” est surtout un roman sur l’enfance. Et ici, Lee détruit cette mythologie enfantine engendrée par Scout pour la mettre en confrontation avec la dure réalité de la vie. Tout n’est pas  blanc ou noir comme dans un monde enfantin, Lee s’engouffre dans les nuances de gris dessinées par l’adulte. Et c’est justement là que se trouve la clef du deuxième (premier?) roman de Lee. L’abandon de l’innocence enfantine. Il faut tuer ses propres mythes et ses héros afin de se construire en tant qu’adulte. On ne peut rester un enfant éternellement. Il faut tuer l’enfant qui est en nous, ses convictions afin de pouvoir se construire en tant qu’adulte, tout en gardant cette part de colère qui nous lie à notre enfance. Et si on part de ce principe, “va et poste une sentinelle” est un excellent roman.

Extrait: “Vous ne me croirez pas, mais si je vous l’assure: jamais de toute mon existence, jusqu’à aujourd’hui, je n’ai entendu le mot nègre prononcé par un membre de ma famille. Jamais je n’ai appris à penser “les nègres”. J’ai grandi entourée de Noirs, mais c’étaient Calpurnia, Zeebo l’éboueur, Tom le jardinier, et tous les autres. Il y avait des centaines de Noirs autour de moi, c’étaient eux qui travaillaient dans les champs, qui ramassaient le coton, qui réparaient les routes, qui sciaient le bois avec lequel nous construisions nos maisons.Ils étaient pauvres, ils étaient sales et ils avaient des maladies, certains étaient fainéants, indolents, mais jamais, pas une seule fois, on ne m’a donné à croire que je devais les mépriser, les craindre, leur manquer de respect, ou que je pouvais me permettre en toute impunité de les maltraiter. Ils ne sont jamais, en tant que groupe, entrés dans mon univers, pas plus que je ne suis entrée dans le leur quand j’allais à la chasse, jamais je ne m’aventurais sur les terres des Noirs, non pas parce que c’étaient leurs terres mais parce que je n’étais pas censée m’aventurer sur les terres de qui que ce soit. On m’a appris à ne jamais exploiter les gens moins fortunés que moi, qu’ils soient moins fortunés en termes d’intelligence, de richesse ou de statut social; et cela s’appliquait à tout le monde, pas seulement aux Noirs. On m’a fait comprendre que tout manquement à cette règle était méprisable.

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