“Nuit” de Edgar
Hilsenrath.
Ed. Attlila 2007.
Pages 377.
Titre Original:
“Nacht”
Résumé: Resté
censuré en Allemagne près de 20 ans, Nuit est aujourd’hui considéré comme le
chef d’œuvre d’Edgar Hilsenrath. C’est la nuit permanente sur le ghetto de
Prokov. Au fil des jours, dans un décor apocalyptique, Ranek lutte pour sa
survie. Les personnages sont réduits à des ombres... comme s’ils n’avaient plus
ni âme ni corps. Pourtant, dans ce brouillard permanent, surnagent des éléments
de vie : la faim, le froid, les scènes d’amour hâtives, de pendaisons (ratées)
ou d’accouchement au milieu du ghetto montrent que l’humanité demeure.
L’écriture est plus sage que dans les livres précédents, et le style mécanique,
concis, halluciné… quasiment cinématographique. Hilsenrath s’est inspiré pour
Nuit de sa propre histoire, et du ghetto ukrainien où il a passé quatre ans
entre 1941 et 1945. C’est d’ailleurs la genèse de ce livre, qu’il a réécrit
vingt fois entre 1947 et 1958, qui est racontée dans Fuck America. En
Allemagne, Nuit, publié en 1964, a été saboté par son propre éditeur, qui
craignait les réactions à cette approche, très crue, de la Shoah : la moitié du
tirage a été envoyée en service de presse et le livre, épuisé en un mois, n’a
jamais été réimprimé. Aujourd’hui, le livre s’est vendu à plus de 500 000
exemplaires dans le monde.
La 7 de la page 7:
“D’une arrière-cour lui parvenait des bribes d’harmonica.”
“Nuit” d’Hilsenrath
est un roman très particulier. Totalement dénué de pathos et construit sur la
forme de la répétition. Et c’est justement là que le roman est partciulièrement
intéressant. Les scènes d’horreur se succèdent.
“C’est seulement alors qu’il remarque la foule muette entassée le long
du trottoir d’en face. Les sans-abris. Leur maigre bagage et quelques ballots
de draps défaits trônaient sur le pavé. Quand les rafles commenceront, tout ça
sera balayé, pensa-t-il... nettoyé comme les ordures par les balayeurs, demain
matin on ne verra plus rien. Il sentit ses entrailles le démanger furieusement.
Gare à ne pas faire dans ton fric, pensa-t-il. Ca a beau arriver tout le temps,
on ne s’y fait pas.”
Hilsenrath nous
emmène dans le ghetto de Prokov où on suit Ranek. “Chacun sa pomme” est la
devise de chacun et tous sont prêts à tout pour survivre. Ranek est loin d’être
un héro. C’est juste un être qui perd peu à peu son humanité pour continuer à
vivre. Pas de sentiment. Pas de compassion. Pas de solidarité. Tout se vend et
tout est bon pour survivre. Hilsenrath fait se succéder les raffles, les
maladies, les exactions. Ils nous introduit à des personnages qui n’ont plus
rien à perdre et qui sont prêts à tout.
“Fred était depuis longtemps recouché sous l’escalier quand le dortoir
fut pris d’assaut par une meute de sans-abris. Ils étaient bien informés et
savaient qu’une ribambelle de
places s’étaient libérées. Tapis dans les fourrés, ils avaient attendu d’être
sûrs que la police fût partie pour de bon, avant de s’approcher. D’abord ils
firent du tapage sous la fenêtre et lancèrent des pierres contre le carreau en
carton. Puis ils pénétrèrent dans l’entrée et exigèrent qu’on ouvre... Armés de
bâtons, ils se ruèrent dans l’escalier et frappèrent avec la sauvagerie du
désespoir les quelques personnes qui leur barraient la porte, bien décidées à
défendre le dortoir. Le combat ne fut pas long, et bientôt toutes les places
libres furent occupées.”
Au début le
lecteur est horrifié par ce qu’il lit, cette déshumanisation totale des
protagonistes. Hilsenrath cumule les mêmes scènes: raffles, morts, vols,
faim...
Et le lecteur
s’habitue. Hilsenrath vise juste et bien: quelque soit la situation, si elle se
répète assez souvent, l’humain s’y habitue. On s’habitue aux horreurs écrites.
Et grâce à cela, la déshumanisation s’inverse. Nous sommes tous des animaux de
survie. Les protagonistes aussi. Il leur faut survivre et ils font ce qui doit
être fait pour y arriver. Si en plus, on y ajoute la plume d’Hilsenrath, le
roman n’en prend que plus d’ampleur.
“Le Dniestr offrait ce jour-là un spectacle
idyllique. Au crépuscule, l’eau prenait une couleur plus tendre, une couleur
entre chien et loup, mélange de gris, de noir et de brun, étrangement indéfinie.
Le fleuve paraissait aussi couler plus lentement, mais ce n’était qu’une
illusion. A cette heure du couchant, il donnait l’impression de s’étendre à
l’infini, comme s’il venait de nulle part et n’allait nulle part, telle une
ombre glissante dans un paysage silencieux et rêveur.”
“Nuit” est un récit
dur et maîtrisé où les protagonistes sonnent trop justes. Hilsenrath nous met
d’abord mal à l’aise afin de nous habituer à l’horreur. Et il y parvient de
manière magistrale. Un grand roman.
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