jeudi 12 mai 2016

"Fuck America" de Edgar Hilsenrath


“Fuck America” de Edgar Hilsenrath
Ed. Point 2010. Pages 281.
Titre Original: “Fuck America. Bronsky Geständnis.”

Résumé: 1952 : dans une cafétéria juive de Broadway, Jakob Bronsky, tout juste débarqué aux Etats-Unis, écrit son roman sur son expérience du ghetto pendant la guerre : Le Branleur ! Au milieu des clodos, des putes, des maquereaux et d'autres paumés, il survit comme il peut, accumulant les jobs miteux, fantasmant sur le cul de la secrétaire de son futur éditeur, M Doublecrum. Dans la lignée de Fante, Roth et Bukowski, Fuck America est un témoignage étourdissant sur l'écrivain immigré crève-la-faim.

La 7 de la page 7: “Grüspan hoche la tête.”

Autant prévenir tout de suite, je suis une très grande admiratrice de l’oeuvre de Hilsenrath. J’aime le décallage entre son propos et sa manière de l’aborder. On est parfois dans le cynisme, souvent dans la brutalité et toujours dans le génie.
“Fuck America” ne déroge pas à la règle. Après s’être attaqué au nazisme, aux ghettos ukrainiens, Hilsenrath s’attaque avec ce livre à l’émigration au pays de tous les rêves, les Etats-Unis. Le rêve américain est souvent vendu comme étoilé et pétillant. Oubliez ça avec Hilsenrath. “Fuck America” est un titre à la mesure du propos tenu par l’auteur. Il y met en scène un jeune auteur survivant de la deuxième guerre mondiale. La résonnance personnelle est plus qu’interpellante quand on connaît un peu la vie de l’auteur. Quelle partie du personnage est Hilsenrath et quelle partie est purement Bronsky, le jeune émigré? La frontière est mince et le lecteur se retrouve à lire ce roman comme si Hilsenrath en était le protagoniste.
La plume est percutante et le propos acéré. L’auteur y démonte tous les mythes américains. On est pas mieux servi en Amérique que dans un guetto finalement. On reste le juif. On reste l’émigré. On reste la cible des idées bien pensantes et des préjugés à la dent dure. L’auteur se vautre dans ces idées reçues et s’y prélasse avec délectation. Bronsky, héro pathétique d’une histoire rocambolesque, est touchant. Et détestable en même temps. Mais il n’est que le produit de son environnement. Il réplique aux coups de la seule manière qu’il connaisse. Anomalie d’un système américain qui se veut libéral en prônant des idées conservatrices, Bronsky met à mal la vision idéalisée qu’ont les occidentaux des Etats-Unis. Sauveurs de la guerre mais dans le refus d’aider sur leur propre sol, les américains laissent les nouveaux émigrés reformer les guettos de la guerre. Un abandon particulièrement bien organisé et qui oblige les émigrés de se comporter à nouveau comme s’ils devaient survivre à un ghetto de la guerre.
Le texte de Hilsenrath est puissant. Profond. Faussement léger. Un vrai bonheur. Un pur régal. Décidément, Hilsenrath fait sans aucun doute partie de mes auteurs préférés.

Extrait: “Il ne faut jamais dire à une jeune femme qu’on est seul, a dit l’agent matrimonial. Et il ne faut jamais dire qu’on a pas de date, parce que ça signifie qu’on est un raté. “J’y avais pas pensé.” “Ca ne fait pas assez longtemps que vous êtes dans le pays, c’est tout.” “C’est vrai.” “Et puis, il ne faut jamais demander à une jeune femme si elle compte vous rencontrer le soir même. Ca n’est pas convenable. Ou le lendemain, un samedi de surcroît. Ou le surlendemain, un dimanche de surcroît. Ca ne se fait pas. Vous vous comportez comme si vous ignoriez que dans ce pays, une fille ne peut pas admettre qu’elle n’a pas de rendez-vous le week-end. Ca n’existe pas. Une femme qui a réussi, une femme accomplie se doit d’être mariée ou d’avoir au moins un rendez-vous le week-end. Vous comprenez?” “Oui” j’ai dit.”

"Ca" de Stephen King

“Ca” de Stephen King
Ed. J’ai Lu 1996. Pages 1611.
Titre Original: “it”

Résumé: Tout avait commencé juste avant les vacances d'été quand le petit Browers avait gravé ses initiales au couteau sur le ventre de son copain Ben Hascom.
Tout s'était terminé deux mois plus tard dans les égouts par la poursuite infernale d'une créature étrange, incarnation même du mal. Mais aujourd'hui tout recommence. Les enfants terrorisés sont devenus des adultes. Le présent retrouve le passé, le destin reprend ses droits, l'horreur resurgit. Chacun retrouvera dans ce roman à la construction saisissante ses propres souvenirs, ses angoisses et ses terreurs d'enfant, la peur de grandir dans un monde de violence.

La 7 de la page 7: “J’m’excuse, M’man.”

Réduire “Ca” de Stephen King a un simple roman d’épouvante serait extrêmement réducteur. Effectivement, c’est bien une histoire d’épouvante et tous les codes utilisés par l’auteur vont dans ce sens. Cependant, ce n’est pas une simple histoire de clown maléfique.
Avec “Ca”, King touche à l’enfance et à ce qu’ils estiment être inoffensif. Il base son roman sur la peur intrinsèque des enfants, sur le “ne faire confiance à personne, même pas aux clowns”. Ce qui est supposé être drôle et amusant se révèle cauchemardesque. Il touche à l’enfance dans ce qu’elle a de plus innocent. C’est justement cette innocence qui les mène à leur perte.
Les clowns sont sensés nous divertir, ici, ils sont utilisés comme des armes d’horreur. Le mal, pur et dur, prend la forme du divertissement pour anéantir ses pauvres victimes. Il faudra un groupe de jeunes enfants et une bonne dose de courage pour que le mal soit vaincu. Mais l’est-il réellement?
Probablement un des meilleurs romans de Stephen King. Maîtrisé et magistral, l’auteur nous emmène aux tréfonds de l’horreur et des angoisses d’enfant qui ne quittent jamais vraiment les adultes que nous devenons.


Extrait: “Peut-être que ces histoires de bons ou mauvais amis, cela n’existe pas; peut-être n'y a t-il que des amis, un point c'est tout, c'est-à-dire des gens qui sont à vos côtés quand ça va mal et qui vous aident à ne pas vous sentir trop seul. Peut-être vaut-il toujours la peine d'avoir peur pour eux, d'espérer pour eux, de vivre pour eux. Peut-être aussi vaut-il la peine de mourir pour eux, s'il faut en venir là. Bons amis, mauvais amis, non. Rien que des personnes avec lesquelles on a envie de se trouver; des personnes qui bâtissent leur demeure dans votre coeur.”




"Ballade pour Leroy" de Willy Vlautin


“Ballade pour Leroy” de Willy Vlautin.
Ed. Albin Michel (terres d’Amérique) 2016. Pages 292.
Titre Original: “The Free”

Résumé: La première chose que voit Leroy lorsqu'il sort du coma, c'est la photo d'une pin-up en bikini aux couleurs du drapeau américain. Une vision aussi nette que les sept années qui séparent pour l'Irak de cet instant précis où il se réveille dans un établissement spécialisé. Lui qui avait oublié jusqu'à son nom pourra-t-il redevenir un jour celui qu'il a été? Alors qu'il prend une terrible décision, son destin va bouleverser la vie de ceux qui gravitent autour de lui: Freddie, un gardien de nuit, Pauline, une infirmière, sa petite amie Jeanette et sa mère Darla, qui continue à lui lire à haute voix des romans de science-fiction. Pendant que Leroy lutte dans un inquiétant monde parallèle pour sauver sa peau...

La 7 de la page 7: “Elle était généralement partie à l’heure où Freddie arrivait, mais parfois il la croisait et il avait de la peine pour elle.”

Si vous êtes friands des ovnis littéraires, “Ballade pour Leroy” est pour vous. Totalement. Entièrement. Juste pour vous. “Ballade pour Leroy” est un petit bijou. L’histoire semble simple et pourtant. La complexité des personnages est grandiose. On ne les connaît pas et au fur et à mesure, ils deviennent des amis proches. On voudrait les accompagner dans leurs douleurs et leurs combats. Chacun d’entre eux tente de survivre dans une Amérique qui a perdu ses rêves. Pas de strass. Pas de paillette. Juste des êtres humains qui survivent, comme ils le peuvent. Une tranche de vie. Dure. Amère. Mais tellement bien écrite. On se laisse emporter dans cette Amérique qui souffre, dans ces personnages qui survivent et qui sont prêts à tout pour leur petit coin de paradis. Pour leur heure de bonheur. Entre mélancolie et cruauté de la vie, “Ballade pour Leroy” est un conte contemporrain qui nous pose de vraies questions. Vlautin, auteur jusqu’à lors totalement inconnu de votre très chère, se classe maintenant dans les auteurs à lire et à suivre. Il y a du pathétique dans son récit, il y a aussi de la poésie, des moments de grâce. La plume est légère, elle ne s’immisce pas entre le lecteur et les personnages. Narration d’une Amérique en perdition, “Ballade pour Leroy” n’en reste pas moins un ode à la vie. Continuer. Toujours continuer. Jusqu’à ce que le vent tourne. Savoir abandonner aussi. Ses principes, ses ambitions. Et pourtant y rester fidèle. Paradoxe d’une société qui laisse les gens sur le côté de la route, “Ballade pour Leroy” vous fera sourire, pleurer et quand vous aurez refermé ce livre, vous aurez gagné une petite parcelle d’humanité en plus en compagnie de ces personnages qui vous emmèneront jusqu’au bout de leur histoire, la leur, la vôtre. A lire. Absolument.

Extrait:” Sur le chemin du retour, il prit son petit-déjeuner dans un diner, comme chaque dimanche, et le jour venait juste de se lever quand il entra dans sa maisonoù il régnait un froid glacial. Il garda sa veste; fit du feu, et finit par s’endormir devant la télévision. Quand il se réveilla, la nuit tombait et le feu s’était éteint. Il se leva, le ralluma et sortit de son portefeuille un morceau de papier sur lequel figurait une longue liste de questions. Il téléphona à ses filles et parla à chacune d’elles. Après il essaya de se rendormir. Mais en regardant les flammes, il revit sa mère qui, l’hiver se réchauffait près du feu que son mari avait allumé à son intention car il rentrait toujours du travail avant elle. Elle s’offrait alors une tasse de thé et quatre biscuits Oreo. Allongé sur le canapé, Freddie pensa à ses parents et à ses propres enfants, et à toutes les fois où ils s’étaient chauffés près de ce même feu. Leurs photos encadrées étaient posées sur la cheminée. Freddie essaya de dormir mais n’y parvint pas. C’était la première fois de sa vie qu’il faisait quelque chose d’illégal. Et il espérait bien que ses parents et grands-parents, où qu’ils soient, n’étaient pas en train de le regarder.”

"Hygiène de l'assassin" de Amélie Nothomb


“Hygène de l’assassin” de Amélie Nothomb
Ed. Le Livre de Poche 2014. Pages 222.

Résumé: Prétextat Tach, prix Nobel de littérature, n'a plus que deux mois à vivre.
Des journalistes du monde entier sollicitent des interviews de l'écrivain que sa misanthropie tient reclus depuis des années. Quatre seulement vont le rencontrer, dont il se jouera selon une dialectique où la mauvaise foi et la logique se télescopent. La cinquième lui tiendra tête, il se prendra au jeu. Si ce roman est presque entièrement dialogué, c'est qu'aucune forme ne s'apparente autant à la torture.
Les échanges, de simples interviews, virent peu à peu à l'interrogatoire, à un duel sans merci où se dessine alors un homme différent, en proie aux secrets les plus sombres. Premier roman d'une extraordinaire intensité, où Amélie Nothomb, 25 ans, manie la cruauté, le cynisme et l'ambiguïté avec un talent accompli.

La 7 de la page 7:” Oui, c’était en vers.”

Ce n’est pas un secret, je ne suis pas très cliente de Amélie Nothomb. J’avais déjà lu “La Métaphysique des tubes”, que j’avais proprement détesté. Mais je me disais que je devais quand même tenter d’autres romans signés par cet auteur. Maintenant je me demande pourquoi j’éprouve autant d’antipathie pour moi-même. Pourquoi me fais-je autant de mal? Je n’aime pas Amélie Nothomb. Ca arrive. On ne peut pas aimer tous les auteurs. Mais je continue à m’entêter avec “Hygiène de l’assassin”. De deux choses l’une, soit je choisi très mal les romans de Nothomb soit sa prose me passe complètement au-dessus de la tête. Non seulement je n’ai trouvé aucun intérêt dans l’intrigue, mais les personnages m’ont complètement laissée indifférente. Je n’en ai strictement rien à faire de ce qu’il se passe dans ses romans. Mais bon, il paraît que “Il faut vraiment que tu lises “Mercure” pour changer d’avis.” Donc il est probable que je lise “Mercure”. Même si je soupçonne que cette chronique soit tout aussi mauvaise que celle-ci.
Je me sens compltètement exclue de ses romans. J’ai l’impression de me retrouver face à un mur littéraire qui me balance des mots, certes joliment trouvés et qui s’entremêlent assez agréablement, mais j’ai toujours ce sentiment irrépréssible de perdre mon temps. Au moins, point positif, ce roman est assez court... Ca passe vite. Je ne souffre pas trop longtemps. Donc... Ben, je vais lire “Mercure”... (Il doit quand même bien en avoir un qui me plaise... Ou pas...)

Extrait: “En écoutant la bande, les confrères ne dirent rien, mais ce n’était certainement pas à Tach que s’adressait leur sourire de condescendance.
-Ce type est un cas, racontait la dernière victime. Allez comprendre! On ne sait jamais comment il réagira. Parfois, on a l’impression qu’il peut tout entendre, que rien ne le vexe et même qu’il prend plaisir aux petites nuances impertinentes de certaines questions. Et puis soudain, sans crier gare, le voilà qui explose pour des détails dérisoires ou qui nous jette à la porte si nous avons le malheur de lui faire une remarque infime et légitime.”

"L'Orange Mécanique" de Anthony Burgess


“L’Orange Mécanique” de Anthony Burgess
Ed. Pocket 2007. Pages 221.
Titre Original: “A Clockwork Orange”

Résumé: Londres dans un futur proche. La société est presque déshumanisée et le soir, les jeunes sortent en bande et s'adonnent à toutes sortes de violences: vol, passage à tabas, viol... Parmi eux, Alex, 15 ans, et ses droogs. Un jour il est arrêté et pour réduire sa peine, il accepte de subir un traitement qui promet qu'on ne retournera jamais en prison.
Il s'agit du best-seller d'Anthony Burgess, dont l'adaptation filmée de Stanley Kubrick est largement connue. Au delà des images de violence qui ont provoqué la polémique sur ce livre, l'auteur aborde surtout, à travers l'histoire d'Alex, le danger qui guette l'homme qui n'est plus libre de choisir.

La 7 de la page 7: “Puis il y est allé de sa bidonske-ho-ho-ho- raide choum- en faisant semblant de se torcher le yahura avec sa lettre.”

Grâce à “L’Orange Mécanique”, Burgess monte et démonte, avec acidité, une société qui crée ses propres démons et ses propres monstres. Alex est le produit de son environnement. Ensuite, il sera le produit du “traitement” de sa réhabilitation. L’écriture de ce roman est exigeante et particulière. Elle demande de la concentration. Cependant, cela n’empêche absolulement pas la lecture fluide de ce roman d’anthologie. Notre société engendre ses démons et en faisant la boucle, violente ses propres créations. Cercle d’une violence complètement désincarnée et banalisée, “L’Orange Mécanique” se lit comme on prend une gifle. Entre écoeurement et compassion, Burgess joue avec les émotions de son lecteur qui ne sait plus où donner de la tête. Une véritable claque à la société et un monument de la littérature internationale.

Extrait: “Là-dessus, on y est allés de la castagne en beauté, ricanochant tant et plus du litso, mais sans que ça l'empêche de chanter. Alors on l'a croché aux pattes, si bien qu'il s'est étalé à plat, raide lourd, et qu'un plein baquet de vomi biéreux lui est sorti swoouuush d'un coup. C'était si dégoûtant qu'on lui a shooté dedans, un coup chacun, et alors, à la place de chanson et de vomi, c'est du sang qui est sorti de sa vieille rote dégueulasse. Et puis on a continué notre chemin.