jeudi 25 août 2016

"Sept jours pour une éternité" de Marc Lévy

"Sept jours pour une éternité" de Marc Lévy. 
Ed. Pocket 2005. Pages 311. 

Résumé: Pour mettre un terme à leur éternelle rivalité, Dieu et Lucifer se sont lancé un ultime défi... Ils envoient en mission leurs deux meilleurs agents... Lucas et Zofia auront sept jours sur terre pour faire triompher leur camp, décidant ainsi qui du Bien ou du Mal gouvernera les hommes... En organisant ce pari absurde, Dieu et Lucifer avaient tout prévu, sauf une chose... Que l'ange et le démon se rencontreraient... Avec ce troisième roman, l'auteur de Où es-tu ? et de Et si c'était vrai... nous fait croire de nouveau à l'incroyable et nous entraîne dans un univers plein d'humour, de tendresse et de rebondissements.

La 7 de la page 7: "Les sans-abris y élisaient domicile, à peine protégés des pluies d'automne, des vents glacés que le Pacifique charriait sur la ville. L'hiver venu, et des patrouilles de police qui n'aimeraient guère s'aventurer dans cet univers hostile, quelle que soit la saison." 

"Sept jours pour une éternité" est, probablement, le roman de Marc Lévy que j'ai préféré jusqu'à présent. Non pas que l'écriture y est transcendée, c'est plus le sujet en lui-même qui m'a interpellé. L'éternel combat entre le Bien et le Mal, entre l'ange et le démon qui se combattent pour une âme afin de se sauver eux-mêmes. Une idée excellente qui interpelle le lecteur. Oh, bien sûr, le sujet est traité avec légèreté mais au moins, le livre a le mérite d'exister. L'histoire est bien menée jusqu'au dénouement final, un peu tiré par les cheveux et avec un côté un peu guimauve qu'on ne retirera jamais à Marc Lévy. On ne crache pas dans sa propre soupe. Comme souvent, agréable à lire par beau temps, sous une tonnelle, un bon verre de rosé bien frais à la main. Que demander de plus en pleine canicule? 

Extrait: "Je te regarde dormir et Dieu que tu es belle. Tu te retournes dans cette dernière nuit où tu frisonnes, je te serre contre moi, je pose mon manteau sur toi, j'aurais voulu pouvoir en mettre un sur tous tes hivers. Tes traits sont tranquilles, je caresse ta joue, et, pour la première fois de mon existence, je suis triste et heureux à la fois.C'est la fin de notre moment, le début d'un souvenir qui durera pour moi l'éternité. Il y avait en chacun de nous tant d'accompli et tant d'inachevé quand nous étions réunis. Je partirai au lever du jour, je m'éloignerai pas à pas, pour profiter encore de chaque seconde de toi, jusqu'à l'ultime instant. Je disparaîtrai derrière cet arbre pour me rendre à la raison du pire. En les laissant m'abattre, nous sonnerons la victoire des tiens et ils te pardonneront, quelles que soient les offenses. Rentre, mon amour, retourne dans cette maison qui est la tienne et qui te va si bien. J'aurais voulu toucher les murs de ta demeure à l'odeur de sel, voir de tes fenêtres les matins qui se lèvent sur des horizons que je ne connais pas, mais dont je sait qu'ils sont les tiens. Tu as réussi l'impossible, tu as changé une part de moi. Je voudrais désormais que ton corps me recouvre et ne plus jamais voir la lumière du monde autrement que par le prisme de tes yeux.
Là où tu n'existes pas, je n'existe plus. Nos mains ensemble en inventaient une à dix doigts ; la tienne se posant sur moi devenait mienne, si justement que, lorsque tes yeux se fermaient, je m'endormais.
Ne sois pas triste, personne ne pourra voler nos souvenirs. Il me suffit désormais de fermer mes paupières pour te voir, cesser de respirer pour sentir ton odeur, me mettre face au vent pour deviner ton souffle. Alors écoute : où que je sois, je devinerai tes éclats de rire, je verrai les sourires dans tes yeux, j'entendrai les éclats de ta voix. Savoir simplement que tu es là quelque part sur cette terre sera, dans mon enfer, mon petit coin de paradis.
"

"Julia" de Peter Straub

"Julia" de Peter Straub. 
Ed. Pocket 1989. Pages 281. 

Résumé: Depuis vingt ans la maison attendait Julia.
Elle ne la laisserait pas s'échapper.
Fuyant un mari abusif, mais surtout le souvenir de la mort tragique de sa petite Kate, Julia s'est installée dans une belle maison au coeur de Londres, croyant y trouver la paix et la sécurité. Mais, peu à peu, les lieux montrent leur vrai visage. Suffoquée par une atmosphère étouffante, effrayée par des vacances nocturnes ou par d'étranges silhouettes entrevues en plein jour. Julia se sent menacée de toutes parts.
A-t-on décidé de la rendre folle ? Qui est cet enfant qui s'acharne sur elle ? Sa seule issue est peut-être de comprendre de quel drame abominable la maison a été le théâtre vingt ans plus tôt... Mais pourra-t-elle affronter la terrible révélation qui la guette ?

La 7 de la page 7: "Puis, un jour, elle avait rencontré au restaurant une amie de Smith College, qui lui apprit que l'éditeur chez lequel elle travaillait cherchait une jeune femme pour revoir des textes; une semaine après, elle avait un nouveau travail." 

Bon. C'est très difficile d'écrire une chronique comme celle-ci alors qu'on ne sait pas trop à quelle sauce on va manger le livre au moment même d'écrire la chronique. Ce n'est pas que je n'ai pas aimé "Julia". L'ambiance est plutôt efficace mais il y a un élément dans ce roman qui me reste en travers de la gorge: le personnage principal. Bon Dieu qu'elle est bête. On se demande tout du long, si Julia est paranoïaque ou tout simplement stupide. Ses choix sont complètement désastreux. Personnellement, je vois ma fille morte dans la maison que je viens d'acheter, je me tire vite fait, bien fait. Mais c'est normal, il faut bien qu'il y ai une histoire me répondrez-vous. Je suis totalement d'accord avec ce principe. Mais ici, on accumule les raisons de filer sans demander son reste. Mais Julia, elle, reste dans ses illusions, elle se berce d'imbécilités. Si au moins elle restait pour de bonnes raisons, mais non. En fait, elle est juste terriblement idiote. Et c'est bien dommage parce que le reste y est. L'ambiance est étouffante, les personnages, autres que Julia, sont plutôt bien exploités. 
Est-ce que la bêtise du personnage principal gâche la lecture? Sans doute un peu. Mais la plume de Straub est efficace et si "Julia" n'est pas convaincant, il n'en reste pas moins que le reste de l'oeuvre de l'auteur vaut la peine de s'y attarder. Donc, oui, "Julia" n'est pas une réussite mais ce livre donne quand même envie d'aller fouiner dans les autres romans de Straub. 

Extrait: "Elle n'était pas réellement capable de penser, mais elle savait qu'il lui fallait détruire la robe bleue, et cette certitude se transforma immédiatement en action, court-circuitant la pensée. Il fallait brûler la robe. Emportant la robe, Julia alla chercher des allumettes dans la cuisine et continua jusqu'au living. Elle jeta la robe dans le foyer de la cheminée et gratta une allumette, qu'elle appliqua contre un coin de tissu à peu près sec. Il ne prit pas. Elle recommença; cette fois, le mince tissu s'enflamma, noircissant et se recroquevillant. Une odeur âcre se répandit dans la pièce. La moitié environ de la robe se consuma avant que le tissu humide n'éteigne les flammes. Une odeur infecte, comme de la fourrure brûlée, emplissait le living, mais Julia la remarqua à peine. Elle essaya de faire brûler le reste de la robe avec d'autres allumettes, mais le tissu noircissait sans s'enflammer."

"Jessie" de Stephen King

"Jessie" de Stephen King
Ed. J'ai Lu 1996. Pages 442. 
Titre original: "Gerald's Game" 

Résumé: Il ne fallait pas jouer à ce petit jeu, Jessie. Vous voilà enchaînée sur votre lit, le cadavre de Gerald à vos pieds, condamnée à vous enfoncer dans la nuit, la terreur et la folie. Les femmes seules dans le noir sont comme des portes ouvertes... si elles appellent à l'aide, qui sait quelles créatures horribles leur répondront ?

La 7 de la page 7: "Quoi qu'il en soit, ce qui importait à l'heure actuelle, c'est qu'elle avait continué le jeu plus longtemps qu'elle ne l'avait vraiment souhaité, parce qu'elle aimait cette flamme dans les yeux de Gerald, qui la faisait se sentir jeune, belle et désirable." 

Avec "Jessie", Stephen King nous livre une histoire claustrophobique dans laquelle on a du mal à respirer ou alors juste par saccades. Dès qu'on trouve un moment pour souffler un peu, on repart, sous la plume du maître, dans un chapitre haletant. Parfois, il a pitié de nous et nous laisse quelques pages pour qu'on puisse reprendre nos esprits mais cela ne dure jamais bien longtemps, ce n'est qu'un stratagème pour mieux nous avoir au prochain tournant. Le lecteur est enfermé avec Jessie. On est Jessie, terrifiés par Gerald, terrifiés par les "visions", terrifiés qu'on nous laisse là, à jamais. Mais comme elle, on lutte pour s'en sortir vivant. On tremble avec ce personnage, ses terreurs deviennent les nôtres. Jusqu'au dénouement final. 
Le maître de l'angoisse et de l'horreur a de nouveau frappé. "Jessie" vous fera passer un excellent moment sous la couette, à la seule lumière de votre lampe de chevet. 

Extrait: "Elle se vit couchée dans le noir, un homme-ou une chose de forme humaine-debout en face d'elle dans le coin de la pièce. Ce n'était ni son père ni son mari, mais un étranger, "l'étranger", celui qui hante nos visions paranoïaques les plus malsaines et incarne nos peurs les plus profondes.
Impossible de faire disparaître cet être de ténèbres comme par magie en lui jetant à la figure un mot en -ologie, car c'était un joker cosmique. "Mais si, tu me connais", affirma la créature au long visage blafard, qui se pencha en avant pour saisir sa sacoche.
"

"Harry Potter and the cursed child" de John Tiffany et Jack Thorne

"Harry Potter and the cursed child" de John Tiffany et Jack Thorne.
Ed. Little, Brown and Company 2016. Pages 333.

Résumé: Etre Harry Potter n'a jamais été facile et ne l'est pas davantage depuis qu'il est un employé surmené du ministère de la Magie, marié et père de trois enfants. Tandis que Harry se débat avec un passé qui refuse de le laisser en paix, son plus jeune fils, Albus Severus, doit lutter avec le poids d'un héritage familial dont il n'a jamais voulu. Le destin vient fusionner passé et présent. Père et fils se retrouvent face à une dure vérité : parfois, les ténèbres surviennent des endroits les plus inattendus.

La 7 de la page 7: "Ron: I'd give anything to be going back." 

Si un livre était attendu en 2016, c'est bien "Harry Potter and the cursed child". La question que les fans se pose depuis tant d'année aura-t-elle enfin une réponse: que sont-ils devenus? Beaucoup de presse et beaucoup d'attente entouraient ce livre. Alors, au final, il est comment ce nouvel Harry Potter? Et bien la réponse est double et surtout assez complexe. Certains estiment que c'est une mauvaise fan-fiction alors que d'autres ont adoré retrouver les personnages tant aimés. Qui a raison? Selon moi, les deux. Là où Rowling nous avait habitués à des descriptions, à une ambiance qu'ici, on ne retrouve absolument pas. Ce monde magique dans lequel on aimait se vautrer est relayé à l'arrière-plan d'une histoire, il est vrai, un peu "facile". Mais la majorité des détracteurs du livre ont tendance à oublier qu'ici, c'est une pièce de théâtre. De ce fait, les codes changent. Et force est de constater que la pièce, elle, est assez réussie. Si on suit les didascalies et le rythme donné aux dialogues, on est en droit de se dire que le résultat, sur scène, doit être totalement spectaculaire. Et c'est ici que réside toute la complexité de "Harry Potter and the cursed child". C'est une excellente pièce qui aurait fait un très mauvais roman. Mais cela reste Harry Potter... 
Certes les personnages ont changés mais j'ai retrouvé avec bonne humeur ces anciens personnages et découvert avec envie les nouveaux. Avec une mention spéciale pour Scorpius, très réussi. 
Verdict? Oui, la très grande majorité sera déçue par cette "suite". Je préfère la voir comme un encart du futur qui n'entre pas dans la saga proprement dite. J'ai passé un bon moment et, après tout, c'est déjà quand même pas mal. 

"Huis clos" de Jean-Paul Sartre

"Huis clos" de Jean-Paul Sartre.
Folio 1999. Pages 95.

Résumé: GARCIN : - Le bronze...
(Il le caresse.) Eh bien, voici le moment. Le bronze est là, je le contemple et je comprends que je suis en enfer. Je vous dis que tout était prévu. Ils avaient prévu que je me tiendrais devant cette cheminée, pressant ma main sur ce bronze, avec tous ces regards sur moi. Tous ces regards qui me mangent... (Il se retourne brusquement.) Ha ! vous n'êtes que deux ? Je vous croyais beaucoup plus nombreuses.
(Il rit.) Alors, c'est ça l'enfer. Je n'aurais jamais cru... Vous nous rappelez : le soufre, le bûcher, le gril ... Ah ! quelle plaisanterie. Pas besoin de grill : l'enfer, c'est les Autres.

La 7 de la page 7: "Garcin: J'aurais du m'en douter." 

"Huis clos" possède un côté assez rébarbatif du au fait que cette pièce est trop souvent imposée aux jeunes (trop jeunes) élèves de secondaire, à un âge où il est assez difficile d'appréhender le brio de cette pièce. Trois personnages enfermés dans une pièce: Garcin, Estelle et Inès. Si au début, on ne sait pas trop ce qu'il se passe, on comprend vite que ces trois personnages sont, en fait, morts et qu'ils en sont au début de leurs enfers. Au départ, les personnages, surtout Garcin gardent des attitudes très "vivantes" comme un certain matérialisme: 
"Garcin: (...) pas de lit non plus. Car on ne dort jamais, bien entendu? "
Chacun des personnages va entrer dans la pièce, chacun à son tour. Lorsqu'entre Inès, elle méprend Garcin pour le bourreau. Erreur, qui en fait, se révèlera ne pas en être une. 
"Inès: C'est tout ce que vous avez trouvé? La torture par l'absence? Eh bien, c'est manqué. Florence était une petite sotte et je ne la regrette pas.
Garcin: Je vous demande pardon: pour qui me prenez-vous? 
Inès: Vous? Vous êtes le bourreau." 
Au début, aucun d'entre eux n'accepte réellement sa condition de mort. Ils le comprennent sans pour autant le comprendre totalement. 
"Estelle: Oh! Cher monsieur, si seulement vous vouliez bien ne pas user de mots si crus. C'est... C'est choquant. Et finalement, qu'est-ce que ça veut dire? Peut-être n'avons-nous jamais été si vivants. S'il faut absolument nommer cet... état de chose, je propose qu'on nous appelle des absents, ce sera plus correct. Vous êtes absent depuis longtemps." 
Et si les personnages n'ont pas grand chose en commun, on va vite découvrir que chacun d'entre eux est intimement lié aux autres: ils se mentent les uns les autres comme ils se mentent à eux-mêmes. 
Passons sur les thèmes tertiaires de la pièce pour se concentrer sur le vrai propos de la pièce. Chacun des personnages est le bourreau d'un autre, en mouvement perpétuel. C'est Garcin qui résume le mieux la situation. 
"Garcin: (...) Aucun de nous ne peut se sauver seul; il faut que nous perdions ensemble ou que nous nous tirions d'affaire ensemble." 
Or ils vont passer leur temps et surtout leur éternité commune à se renvoyer la balle et en arrivent à cette splendide réplique connue de tous: 
"Garcin: (...) Avec tous ces regards sur moi. Tous ces regards qui me mangent... (...) Alors c'est ça l'enfer. Je n'aurais jamais cru... (...) L'enfer, c'est les autres." 
Une pièce qu'il est très intéressant de relire une fois plus vieux. Une vrai réussite. 

vendredi 12 août 2016

"Anatomie de l'Horreur" de Stephen King

"Anatomie de l'Horreur" de Stephen King
Ed. J'ai Lu 1997. Pages 681.
Titre Original: "Stephen King's danse macabre"

Résumé: Maître incontesté de l'horreur et du fantastique, Stephen King - l'écrivain le plus lu au monde - est un homme remarquablement discret qui s'est toujours caché derrière son œuvre et ses lunettes de myope. Avec Anatomie de l'horreur, il lève enfin le voile. Ni autobiographie ni essai théorique, ce livre est plutôt une conversation au coin du feu où il évoque - avec humour et simplicité - son enfance, ses terreurs, ses idoles. Né en 1947, il se définit lui-même comme un " enfant des médias " et a été formé par le cinéma d'épouvante et la radio des années 50. Il nous parle des films, des bandes dessinées et des romans qui l'ont marqué. Comme à son habitude, il demeure un conteur hors pair. Sous sa plume, chaque anecdote devient une histoire passionnante. Dont, pour la première fois, le héros s'appelle Stephen King...

La 7 de la page 7: "Le premier niveau, celui du haut-le-cœur est efficace, mais c'est ce second niveau de l'horreur qui nous permet souvent de ressentir cette vague angoisse qui déclenche la chair de poule." 

Vous avez toujours voulu savoir comment Stephen King travaille ses idées? Comment il les exploite? Comment écrit-on un bon roman d'horreur, d'épouvante tout en étant efficace? "Anatomie de l'Horreur" est fait pour vous. On entre, pour la première fois, dans la psyché de l'auteur, devenu au fil des ans, mythique dans son genre. Un maître incontesté et incontestable. S'il y a forcément des passages qui nous parlent moins (chaque lecteur lira ce livre pour ses propres raisons personnelles) je reste certaine qu'ils raviront tous les lecteurs. Effectivement, on ne cherche pas tous la même chose dans ce genre de livre, dans la mouvance des "autobiographies professionnelles"  On y découvre aussi certains éléments clefs de la vie de l'auteur. Mais attention, si vous êtes, en général, un dévoreur de King, "Anatomie de l'Horreur" est à classer dans les King à savourer. A lire si vous aimez les romans d'horreur et d'épouvante. 

Extrait: "L'incrédulité n'a rien de léger, croyez-moi. Si Arthur Hailey et H.P.Lovecraft n'ont pas les mêmes tirages, c'est sans doute parce que tout le monde croit aux banques et aux automobiles, alors qu'un effort mental bien plus complexe et bien plus intense est nécessaire si l'on veut croire, ne serait-ce que pour quelques pages, à Nyarlathotep, le Chaos rampant. Et chaque fois que je tombe sur un homme ou une femme qui exprime une opinion du genre: "Je ne lis jamais de fantastique et je ne vais jamais voir de films d'horreur; rien de tout cela n'est réel", j'éprouve à son égard une certaine compassion. Le poids du fantastique est trop lourd pour lui. Ses muscles de l'imagination se sont trop atrophiés."

"La griffe du chien" de Don Winslow

"La griffe du chien" de Don Winslow
Ed. Points 2007. Pages 827. 
Titre Original: "The Power of the Dog" 

Résumé: Art Keller, le " seigneur de la frontière ", est en guerre contre les narcotrafiquants qui gangrènent le Mexique. Adan et Raul Barrera, les " seigneurs des cieux ", règnent sans partage sur les sicarios, des tueurs armés recrutés dans les quartiers les plus démunis. Contre une poignée de dollars et un shoot d'héroïne, ils assassinent policiers, députés et archevêques. La guerre est sans pitié.

La 7 de la page 7: "Techniquement parlant, tous les appareils sont mexicains- officiellement, Condor est un show mexicain, une opération associant des corps d'armée de la Neuvième et l'Etat du Sinaloa-, mais les avions, achetés et réglés par la DEA, sous contrat de la DEA, pour la CIA ayant fait leurs armes dans le Sud-Est asiatique." 

Je n'aurai qu'une seule manière d'expliquer mon ressenti en ce qui concerne "La griffe du chien": N'est pas James Ellroy qui veut. 
Basé sur le même type d'intrigues, "La griffe du chien" paie très vite son arrogance. Sûr de son histoire, Winslow ne laisse pas l'occasion à son lecteur de s'impliquer dans le récit. A coup d'acronymes et de théories du complot, on ne s'attache jamais aux personnages. Le roman est inutilement long. On comprend assez vite l'intrigue malgré un travail bâclé. Quitte à lire ce type de roman, lisez Ellroy.

Extrait: "Sauf que la cible n'est plus un cadre viêt-cong retournant dans son village, mais le vieux Don Pedro Aviles, seigneur de la drogue de Sinaloa, El Patron en personne. Il y a plus d'un demi-siècle que Don Pedro centralise l'opium récolté dans ces montagnes, avant même que Bugsy Siegel, avec Virginia Hill à ses basques, ne débarque à la recherche d'une source d'approvisionnement régulière en héroïne pour la Mafia de la côte Ouest et emporte le contrat." 

"Les Piliers de la Terre" de Ken Follet.

"Les Piliers de la Terre" de Ken Follet.
Ed. Le Livre de Poche 1999. Pages 1050.
Titre Original: "The Pillards of the Earth"

Résumé: Dans l'Angleterre du XIIème siècle ravagée par la guerre et la famine, des êtres luttent chacun à leur manière pour s'assurer le pouvoir, la gloire, la sainteté, l'amour, ou simplement de quoi survivre. Les batailles sont féroces, les hasards prodigieux, la nature cruelle. Les fresques se peignent à coups d'épée, les destins se taillent à coups de hache et les cathédrales se bâtissent à coups de miracles... et de saintes ruses. La haine règne, mais l'amour aussi, malmené constamment, blessé parfois, mais vainqueur enfin quand un Dieu, à la vérité souvent trop distrait, consent à se laisser toucher par la foi des hommes.

La 7 de la page 7: "Le chevalier, le moine et le prêtre n'avaient pas suivi les fuites de la fille." 

Si vous êtes le genre de lecteur qui s'ennuie au bout de deux cents pages où pas grand chose ne se passe ou si vous n'avez pas la patience (ou l'entêtement) de continuer afin de connaître la suite d'une intrigue, vous risquez de passer à côté du très grand roman de Ken Follet. Parce que, oui, "Les Piliers de la Terre" vaut la peine de prendre patience et de laisser le bénéfice du doute à l'auteur. Une fois l'intrigue bien lancée, on entre dans le vif du sujet et "Les Piliers de la Terre" devient un page-turner rarement égalé et royalement maîtrisé. L'intrigue est imparable, les personnages particulièrement réussis. N'étant pas une inconditionnelle de Follet, force est de constater qu'ici, il s'est surpassé. Certes le début est laborieux mais, une fois lancée, l'histoire nous embarque au temps des cathédrales et de leur construction. Une épopée réussie remplie de suspens, d'amour, de trahisons... Un roman plus que réussi, une brique à déguster sans aucune restriction. Du tout grand Follet. 

Extrait: "La vie de moine était la plus étrange et la moins naturelle qu'on pût imaginer. Les moines passaient la moitié de leur vie à s'imposer des souffrances et un inconfort qu'ils auraient pu facilement éviter, et l'autre moitié à marmonner à toutes les heures du jour et de la nuit des prières dans des églises vides. Ils renonçaient délibérément à tout ce qui était agréable : les filles, le sport, les fêtes et la vie de famille. Jack avait bien remarqué que les plus heureux d'entre eux avaient trouvé une activité qui leur apportait de grandes satisfactions : enluminer des manuscrits, écrire l'histoire, faire la cuisine, étudier la philosophie ou - par exemple Philip - transformer un village endormi comme Kingsbridge en une ville prospère."

"Confessions d'un barjo" de Philip K. Dick

"Confessions d'un barjo" de Philip K. Dick 
Ed. J'ai Lu 2014. Pages 346. 
Titre Original: "Confessions of a crap artist" 

Résumé: Jack Isidore a des théories fumeuses sur tout et une collection d'objets aussi farfelus qu'excentriques. Ce garçon est si inadapté à la réalité que, lors de leur déménagement dans la banlieue de Los Angeles, sa sœur Fay et son beau-frère Charley Hume se sentent obligés de l'héberger. Mais sous le regard de Jack, le vernis de la famille modèle se craquelle vite pour laisser exploser au grand jour les névroses de ses deux tuteurs... Entre paranoïa et amour fou, le génie de la science-fiction, Philip K. Dick, explore cette fois-ci un autre univers : la nébuleuse chaotique du mariage et de ses faux-semblants. Une histoire dans laquelle le plus " barjo " n'est certainement pas celui que l'on croit...

La 7 de la page 7: "Même si ce boulot n'a rien de très rémunérateur, je trouve assez amusant de deviner l'ancien motif de la bande de roulement; il arrive qu'il se distingue à peine." 

"Confessions d'un barjo" est un livre qui m'a prise par surprise. Au départ, je pensais que je n'allais pas aimer tant ce roman avait l'air bizarre. Mais, de fil en aiguille, je me suis laissée prendre au jeu. Chaque personnage a un côté complètement barré. Le barjo n'est pas forcément celui qu'on croit. Là où je pense que Dick a fait une prouesse littéraire, c'est qu'après discussion avec d'autres lecteurs de ce roman, chacun avait un barjo différent. Preuve s'il en est que chacun d'entre nous  a un petit côté barré et se reconnaît un peu dans un des personnages. Et donc, forcément, le personnage du barjo change de costume. L'écriture est agréable et absolument pas poussive. On tourne les pages avec conviction et on croit en l'histoire, complètement loufoque servie par Dick. 
On passe un très bon moment et en plus, cela nous permet de réfléchir en même temps à notre conception idéologique de certaines valeurs. Au final, on est tous le barjo de quelqu'un d'autre, non? 

Extrait: "Elle donnait l'impression de quelqu'un de dur, d'adroit sur le plan matériel, alors que dans certaines situations, elle s'apparentait à une adolescente: rigide, pétrie d'attitudes petites-bourgeoises antédiluviennes, incapable de réfléchir par elle-même, qui en revenait aux vieux principes victimes de ce que lui avait enseigné sa famille, choquée par ce qui choquait tout le monde, désireuse de ce que les autres désiraient en général. Elle voulait un foyer, un mari, et l'idée qu'elle se faisait d'un mari c'était un homme qui gagnait une certaine somme, qui mettait la main à la pâte côté vaisselle, jardin... Les conceptions véhiculées par les caricatures des suppléments du dimanche. Ce vaste monde omniprésent d'une vie de famille bourgeoise- perspective issue de la couche sociale la plus ordinaire et qui se transmettait de génération en génération. Malgré ses outrances langagières."

"La Marque du tueur" de Chris Carter.

"La Marque du tueur" de Chris Carter.
Ed. Pocket 2012. Pages 531.
Titre original: "The Crucifix Killer"

Résumé: Dans les bois de L.A., une jeune femme est retrouvée sauvagement assassinée. Sans visage. Sa peau a été arrachée alors qu'elle était encore en vie. Taillée sur sa nuque, une marque que le détective Rob Hunter ne connaît que trop bien : un double crucifix…
Et pourtant, Hunter croyait avoir arrêté le Tueur au crucifix deux ans plus tôt. S'agit-il d'un imitateur ? Mais comment celui-ci aurait-il eu accès à ce détail de l'enquête jamais rendu public ? Ou alors il faut admettre le pire : le vrai coupable court toujours.
C'est le début d'une traque de tous les dangers qui va conduire Hunter des clubs branchés du Strip Boulevard aux planques isolées du Griffith Park en passant par les villas de Malibu et les bas-fonds de Pasadena.
Les rouages d'une implacable machine à suspense sont en marche dans ce thriller au rythme effréné qui nous plonge au cœur de la jungle urbaine de la Cité des Anges

La 7 de la page 7: "Son teint, légèrement hâlé était des pieds à la tête absolument impeccable." 

"La Marque du tueur" est un thriller assez efficace sans pour autant être le thriller de l'année. Mais malgré tout, un bon roman. L'intrigue est bonne sans pour autant être époustouflante. Les personnages sont bien écrits sans pour autant révolutionner le genre. Un thriller avec un tueur et des personnes qui le cherchent. Assez basique si on ne voit ce roman que comme cela. Personnellement, ce que j'y ai vu, c'est un gros potentiel de l'auteur. "La Marque du tueur" nous donne surtout envie de lire un autre roman de cet auteur qui, on le sent, a sans doute écrit cette intrigue avec le frein à main activé. Il peut donner tellement plus à ses lecteurs, cela se sent dans son rythme et dans sa manière de relever le niveau de son intrigue quand l'histoire le demande. On passe un bon moment en sa compagnie et si "La Marque du tueur" ne laisse pas un sentiment impérissable, on en redemande. On veut voir jusqu'où Carter sera capable de nous emmener la prochaine fois. 
Extrait: "Pour commencer, l'immense majorité des tueurs en série sont des hommes, expliqua Hunter. Les tueuses en série ont en général un intérêt purement matériel ou financier. Ce qui peut arriver aussi avec leurs homologues masculins mais beaucoup plus rarement. Les mobiles d'ordre sexuel sont les plus fréquents chez eux. Les études ont aussi révélé que les femmes criminelles tuent en général des proches, maris, membres de la famille ou personnes qui dépendent d'elles. Pour les hommes, ce sont en général des étrangers. Les tueuses en série ont aussi tendance à agir plus discrètement, avec du poison ou des méthodes moins violentes, comme l'étouffement. Les tueurs en série, au contraire, sont très portés sur les tortures et les mutilations. Quand les femmes sont impliquées dans des homicides sadiques, elles jouent en général le second rôle aux côtés d'un homme."

jeudi 11 août 2016

"D'un bord à l'autre" de Armistead Maupin

"D'un bord à l'autre" de Armistead Maupin.
Ed. 10/18 2012. Pages 379.
Titre original: "Significant Others"

Résumé: "Est-il encore utile de présenter Armistead Maupin ? [...] En 1976, il commence à publier des historiettes dans les colonnes du San Francisco Chronicle. Armistead Maupin remet au goût du jour le feuilleton, tel que le pratiquait Alexandre Dumas au XIXe siècle. Seulement, notre Américain laisse la chevalerie dans sa poche, préférant à d'Artagnan un certain Michael Tolliver (alias Mouse), un joyeux homo. Ce dernier cohabite avec Mona Ramsey, Brian Hawkins et Mary Ann Singleton au désormais mythique 28, Barbary Lane. Mme Madrigal, une "logeuse d'une sensibilité quasi cosmique", transsexuel et mère poule en puissance, y accueille les nouveaux locataires par un joint de son herbe maison..."

La 7 de la page 7: "Shawna tira sur le bras de son père." 

Cinquième tome des chroniques de San Fransisco, "D'un bord à l'autre" continue dans la même veine que les autres tomes. Mais on renoue avec une qualité qui, parfois, a fait défaut dans les tomes précédents. On retrouve ces situations loufoques mais, comme toujours, c'est l'humanité de ces personnages qui reste comme le fer de lance de ces célèbres chroniques. Ce ne sont pas des situations qui créent le récit mais les personnages qui réagissent à ces situations. Personnages, toujours aussi enthousiasmants. Maupin nous livre ses personnages avec leurs qualités mais surtout avec leurs défauts. Car ce sont surtout ces petites faiblesses qui nous touchent, qui nous identifient à eux. Chacun d'entre-eux nous compose. Nous ne sommes pas l'un ou l'autre, mais un subtil mélange de chacun d'entre-eux. On attend la suite avec impatience. 

Extrait: "Malgré son ciel, ses arbres et sa rivière, le Grove était complètement marqué par la présence humaine, le produit du génie de l'homme; même s'il se présentait comme un espace à l'écart du monde ordinaire, un repaire d'une tribu secrète fermée au reste de l'humanité, l'ordre y régnait en maître, on n'y décelait pas le plus petit relent d'anarchie. Rien d'étonnant qu'il s'en réjouît."

"Le Cimetière de Prague" de Umberto Eco.

"Le Cimetière de Prague" de Umberto Eco. 
Ed. Grasset 2011. Pages 551. 
Titre Original: "Il Cimitero di Praga" 

Résumé: Trente ans après Le Nom de la rose, Umberto Eco nous offre le grand roman du XIXème siècle secret. De Turin à Paris, en passant par Palerme, nous croisons une sataniste hystérique, un abbé qui meurt deux fois, quelques cadavres abandonnés dans un égout parisien. Nous assistons à la naissance de l'affaire Dreyfus et à la création de l'évangile antisémite, Les Protocoles des sages de Sion. Nous rencontrons aussi des jésuites complotant contre les francs-maçons, des carbonari étranglant les prêtres avec leurs boyaux. Nous découvrons les conspirations des renseignements piémontais, français, prussien et russe, les massacres dans le Paris de la Commune où l'on se nourrit d'illusions et de rats, les coups de poignard, les repaires de criminels noyés dans les vapeurs d'absinthe, les barbes postiches, les faux notaires, les testaments mensongers, les confraternités diaboliques et les messes noires...
Les ingrédients sont donc réunis pour faire de ce savoureux feuilleton un diabolique roman d'apprentissage. Tout est vrai ici, à l'exception de Simon Simonini, protagoniste dont les actes ne relèvent en rien de la fiction mais ont probablement été le fait de différents auteurs. Qui peut, cependant, l'affirmer avec certitude ? Lorsque l'on gravite dans le cercle des agents doubles, des services secrets, des officiers félons, des ecclésiastes peccamineux et des racistes de tous bors, tout peut arriver...

La 7 de la page 7: "Ils ont pris sérieux un moine glouton et luxurieux comme Luther (peut-on épouser une moinesse?) pour la seule raison qu'il a ravagé la Bible en la traduisant dans leur langue." 

Dans "Le Cimetière de Prague" de Eco, il y a différents niveaux de lecture en fonction des personnages qui s'expriment. On s'attardera surtout sur celui de Simonini car il a le récit le plus central. De plus, ce récit-là est nettement supérieur aux autres. Le reste du récit est parfois trop confus pour qu'on puisse réellement s'y attarder. Et c'est justement la critique que l'on peut faire à cet Eco. Il est inégal et parfois trop confus pour que le lecteur n'ai pas envie de décrocher. Or cela serait dommage d'abandonner "Le Cimetière de Prague" car c'est, certes, un roman exigeant mais c'est surtout un roman intelligent. Sur fonds historiques, Eco nous propose Simonini comme personnage principal. Il nous offre cet être abject qu'on ne peut que détester. Eco aborde la montée de l'antisémitisme et il le fait de façon magistrale. Son roman est efficace. Ce n'est certainement pas son meilleur roman mais il permet au lecteur de descendre dans les méandres de l'âme humaine dans ce qu'elle a de plus atroce. La plume est exigeante et le texte demande de la concentration, comme souvent chez cet auteur. Mais il en vaut la peine, juste pour avoir le privilège de passer quelques pages en compagnie de Freud et de Dumas. Encore un roman qui nous fera regretter longtemps la mort de son auteur. 

Extrait: "Depuis que ce Gobineau a écrit sur l'inégalité des races, on a l'impression que si quelqu'un médit d'un autre peuple, c'est parce qu'il juge le sien supérieur. Moi, je n'ai pas de préjugés. Depuis que je suis devenu français (et je l'étais déjà à moitié du côté de ma mère) j'ai compris combien mes nouveaux compatriotes étaient paresseux,  arnaqueur, rancuniers, jaloux, orgueilleux sans bornes au point de penser que celui qui n'est pas français est un sauvage, incapables d'accepter des reproches. Cependant, j'ai compris que pour amener un français à reconnaître une tare dans ses engeances, il suffit de lui dire du mal d'un autre peuple, comme par exemple "nous les polonais, nous avons ce défaut ou cet autre défaut" et, puisqu'ils ne veulent être à nul autre seconde, fût-ce dans le mal, aussitôt il réagissent avec un "oh non, ici, en France, nous sommes pires." et allez zou de déblatérer contre des Français, jusqu'au moment où ils se rendent compte que tu les as pris au piège."

mercredi 3 août 2016

"Tout n'est pas perdu" de Wendy Walker

"Tout n'est pas perdu" de Wendy Walker.
Ed. Sonatine 2016. Pages 341.
Titre Original: "All is not forgotten"

Résumé: Alan Forrester est thérapeute dans la petite ville cossue de Fairview, Connecticut. Il reçoit en consultation une jeune fille, Jenny Kramer, quinze ans, qui présente des troubles inquiétants. Celle-ci a reçu un traitement post-traumatique afin d’effacer le souvenir d’une abominable agression dont elle a été victime quelques mois plus tôt. Mais si son esprit l’a oubliée, sa mémoire émotionnelle est bel et bien marquée. Bientôt tous les acteurs de ce drame se succèdent dans le cabinet d’Alan, tous lui confient leurs pensées les plus intimes, laissent tomber leur masque en faisant apparaître les fissures et les secrets de cette petite ville aux apparences si tranquilles. Parmi eux, Charlotte, la mère de Jenny, et Tom, son père, obsédé par la volonté de retrouver le mystérieux agresseur.

Ce thriller, d’une puissance rare, plonge sans ménagement dans les méandres de la psyché humaine et laisse son lecteur pantelant. Entre une jeune fille qui n'a plus pour seul recours que ses émotions et une famille qui se déchire, tiraillée entre obsession de la justice et besoin de se reconstruire, cette intrigue à tiroirs qui fascine par sa profondeur explore le poids de la mémoire et les mécanismes de la manipulation psychologique.
La 7 de la page 7: "Ça ne fait pas de nous des personnes mauvaises." 

La première partie du roman a une valeur d'exposition théâtrale. L'auteur met en place son action, les tenants et aboutissants de son intrigue. Bien sûr, elle ne nous révèle pas tout. Et ce début est assez ennuyeux. Il est sans doute nécessaire que cette "introduction" soit un peu (beaucoup) longue afin que le lecteur puisse avoir toutes les cartes en main pour continuer à démêler l'intrigue. Cette première partie ddu roman a également un certain côté clinique qui n'est pas inintéressant, mais qui, là aussi, semble un peu longuet. Le psychiatre met en évidence certains aspects de son métier qui sont nécessaires à la bonne compréhension du propos. Le psychiatre, Alan, nous donne les clefs de l'intrigue. Mais attention, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas écrit... Ce n'est pas parce que le récit est parfois trop long et parfois même ennuyeux que le roman manque de rythme. L'impression de lenteur et d'ennui vient surtout du fait que le lecteur ne sait pas trop où le récit l'emmène. Le lecteur reste bloqué dans une situation où il ne sait trop que penser. Ce qui est, par contre, très intéressant, c'est que le psychiatre parle directement au lecteur, ce qui permet de l'impliquer dans le récit. On voudrait juste que l'auteure cesse de tourner en rond et en vienne directement à une narration plus active. On est même pas certain de savoir qui est le réel personnage principal de ce début de roman. On suppose que c'est Alan, le psychiatre, sans pour autant en être totalement convaincu. Et quel est le véritable sujet? Le viol de Jenny? Le traitement qui lui a fait oublier le viol? La manière dont Alan va tenter de faire retrouver la mémoire à Jenny? Résoudre le viol de la jeune fille? Un mélange de tout cela? Plusieurs histoires s'entrecoupent et même si on se doute qu'à un moment, tout cela prendra un sens, force est de constater qu'il faut beaucoup (trop?) de patience pour continuer le roman. Et quand, enfin, l'histoire s'accélère, l'auteure utilise la technique d'accroche de dernière phrase de chapitre. Cela fonctionne, on continue mais le chapitre suivant reste décevant. Pourquoi continuer? Eh bien parce qu'au milieu d'un paragraphe qui ne paie pas de mine, il y a une simple phrase, une phrase qui change tout. On entre dans le vif du sujet sans jamais plus le quitter. On comprend où on voulait nous amener. Malheureusement, l'attente a été trop longue. Et même si l'histoire devient intéressante, on a passé trop de temps à attendre. Deux mentions spéciale toute de même. La première vient du fait que l'auteure, une femme, parvient à nous livrer un personnage masculin crédible. Ce qui n'est pas toujours le cas quand c'est un auteur masculin qui s'essaie au personnages féminins. La deuxième vient du dénouement colossal qui gifle son lecteur. La fin est une grande réussite mais ne parvient tout de même pas à sauver ce roman qui aurait pu être grandiose du début à la fin. Dommage.

Extrait: "Les criminels déclarés non coupables pour cause de folie ne sont pas envoyés en prison. Ils vivent leur propre enfer dans les hôpitaux psychiatriques de l'Etat. Parfois ils sont libérés après un traitement minime et insuffisant. L'ironie est qu'il n'existe pas de corrélation parfaite entre le degré de folie d'un criminel et sa capacité à plaider la folie pour sa défense. Un homme ordinairement "sain d'esprit" qui tue l'amant de sa femme sur un coup de sang peut être jugé temporairement fou et l'utiliser légalement pour sa défense, alors qu'un tueur en série (qui sont tous, insisterais-je, cliniquement des sociopathes.) finira dans le couloir de la mort. Oui, je sais, c'est plus compliqué que cela. Si vous êtes avocat de la défense, mon discours simplifié à l'excès vous fait probablement sauter au plafond. Mais songez à ceci: Charles Manson n'était-il pas fou de demander à ses disciples d'assassiner sept personnes? Susan Smith n'était-elle pas folle de noyer ses enfants? Même Bernie Madoff, n'était-il pas fou de continuer sa pyramide de Ponzi alors qu'il avait déjà gagné plus d'argent qu'il ne pourrait jamais dépenser? La folie n'est qu'un mot."

"Skylight" de David Hare

"Skylight" de David Hare
Ed. de L'Arche 1997. Pages 109.

Résumé: Mon horrible père avait ce qu'il appelait l'objectif "note de chauffage". Il avait l'habitude de nous fourrer les factures de chauffage sous le nez en nous disant "Allez-y, allez-y, continuez à vivre dans une fournaise, si c'est ce que vous voulez. Mais souvenez-vous: si vous montez le chauffage en septembre, vous devrez le baisser en février..."

La 7 de la page 7: "Dimanche." 

Dand "Skylight", les didascalies sont importantes. Elles ne laissent pas la place à l'imagination du metteur en scène/lecteur. Au départ, on ne sait pas trop de quoi les personnages parlent. Ils donnent l'impression de meubler. La conversation débute sur un thème dur mai universel, le deuil. 
"Edward: En fait, une fois qu'ils sont morts, ils continuent de changer. Tu crois que tu les as cernés. Et c'est comme si tu disais: "Ah, je vois. C'est comme ça qu'elle était." Mais après, dans ton souvenir, elle change encore. Ça rend fou. Maintenant, j'aimerais simplement savoir qui elle était." 
Et c'est grâce à cela qu' Edward introduit lui-même son père, Tom, qui viendra plus tard. 
"Edward: (...) J'arrête pas de lui dire: papa, t'es pas mort, t'as cinquante ans. C'est trop tôt pour bouffer les pissenlits par la racine. Merde! Ce que j'aimais chez papa, c'est que d'une certaine façon,  il avait pas d'âge. Je crois que c'est pour ça qu'il avait autant de succès. Tous les âges, tous les genres. Il savait comment les toucher. Et maintenant, il reste dans cette espèce d'ignoble forteresse verte." Apparemment, Edward aime son père. Cependant, il n'est pas dupe de son caractère. 
"Edward: (...) Il inspire le respect, ça c'est sûr. Les gens comme lui inspirent le respect. Mais si tu grattes un peu la surface, si tu parles un peu avec ses employés, tu t'aperçois que le respect, ça ressemble beaucoup à la peur." 
Edward nous annonce un personnage complexe qui n'engage rien de bon. On sent déjà que Tom va nous être présenté comme quelqu'un d'antipathique. Avec "Skylight", Hare va surtout nous livrer un féroce plaidoyer sur le monde du travail et le système social anglais via la vision professionnelle des différents personnages. Il commence avec Edward. 
"Edward: (...) On ne fait pas les choses parce que ça nous plaît. On les fait pour pouvoir les inscrire sur un CV. Juste pour agiter ce ridicule bout de papier." 
Au fur et à mesure des dialogues entre Kyra et Edward, on commence à entrevoir leur relation. Kyra est l'ancienne maîtresse du père d'Edward. C'est important car quand Edward quitte la scène, il est remplacé par Tom, son père. Et leurs dialogues, au début, se superposent. Quand Tom entre en scène, Hare commence sa critique sociale. Il commence en banalisant la violence dans le monde scolaire. 
"Kyra: (...) On a commencé par lui voler sa voiture. C'était une sorte de provocation. On pense que c'est des mômes de l'école. Après, ils l'ont cambriolée. Sa chaîne a disparu. Et puis ils ont pris son chat. Elle est revenue un soir, il était rôti dans le four. Elle a commencé à se dire qu'il était temps de bouge. Elle a trouvé un meilleur poste à Dulwich." 
Il y a , ici, une banalisation totale de la violence dans le milieu scolaire puisque Kyra énonce cette situation sans pathos particulier. Kyra ne semble pas se rendre compte de la violence de ses propos. Mais en même temps, cela place Kyra du côté social défavorisé qui sera toujours sa place dans le débat qui va suivre. Hare nous dépeint, par contre, un Tom totalement auto-centré. Il sera, clairement, le symbole de la société plus aisée et surtout, très sûre d'elle. Alors que Kyra sera cette société que tout le monde méprise mais qui garde sa liberté de penser et de vivre tel que l'on entend. Hare va d'abord passer en revue leur histoire commune afin de bien mettre en place ses personnages. Le lecteur/spectateur se met alors à se demander ce qu'ont, réellement, en commun ces deux personnages. La réponse est sans doute, pas grand chose. Mais les deux amants se retrouvent et vont, le temps d'un instant, oublier ce qui les sépare. Le problème, c'est que Tom veut recommencer leur histoire avec les mêmes paramètres qu'avant alors que Kyra, elle, a changé. 
"Kyra: Tom, il y a une chose qu'il faut que tu prennes maintenant. Il y a cet univers dans lequel  je vis, un monde avec des valeurs complètement différentes... Ça n'a rien à voir avec ton monde..." 
Et c'est là, que la lutte commence. Tom, lui, n'a absolument pas changé. Il est d'une nature difficile et prompt à juger les autres, ceux qui ne pensent pas comme lui, qui ne partagent pas ses valeurs. 
"Tom: Tu étais première de ta promo, non? (...) Je ne peux rien imaginer de plus tragique ni de plus stupide que de te voir foutre tes talents en l'air ici...
Kyra: Je les fous en l'air ici? Je ne crois pas. 
Tom: Kyra, tu enseignes à des gosses qui sont en bas de l'échelle!
Kyra: Justement! Il me semble à moi que j'utilise mes talents. Je les utilise, d'une façon que tu n'approuves pas."
 Et à partir de là, tout part en vrille. le débat s'envenime et chacun des personnages devient de plus en plus agressif l'un envers l'autre. Jusqu'au point de non retour. 
"Kyra: je vais te dire, moi, je passe mon temps avec des gens très différents. Des gens qui n'ont rien du tout le plus souvent. Mais ils ont au moins une grande vertu: contrairement aux riches, ils ne se racontent pas d'histoire sur la prétendue nécessité d'avoir accompli quelque chose dans sa vie! Et ils n'ont pas des douleurs raffinées. Ils ne restent pas assis à se lamenter d'être incompris et sous-estimés... Non, chaque jour, ils continuent de se battre pour survivre dans la rue. Et cette rue, je t'assure... Si tu dois y aller...Si tu dois un jour apprendre à y survivre, eh bien, crois-moi, c'est mille fois plus difficile que de conduire une campagne de promotion des exportations, d'être au gouvernement, ou de... Oui, il faut que je le dise, c'est encore plus difficile que de diriger une banque."
Peu après, Kyra demande à Tom de partir. Leurs visions des choses sont beaucoup trop opposés pour pouvoir cohabiter. "Skylight" est une pièce engagée ou le discours est plus important que l'action. Et malheureusement, c'est en cela que réside la plus grosse faiblesse de cette pièce. Elle est beaucoup trop statique et privilégie bien trop le discours à l'action. C'est bien dommage car le propos est juste mais le lecteur ne peut faire autrement que de s'ennuyer. 

"Babycakes" de Armistead Maupin


“Babycakes” de Armistead Maupin
Ed. 10/18 2012. Pages 379.

Résumé: Comme à l’habitude, l’auteur nous plonge dans un imbroglio de situations étranges, jouant sur les similitudes du destin des différents personnages. Si le livre s’inscrit dans la série, avec le retour de personnages familiers, c’est aussi un roman à part entière qui constitue une unité en soi. Mais, alors que les précédents ouvrages se situaient dans les années 70 chic et choc, nous sommes désormais au début des 80’s, aux prémices des années sida.
Autre signe distinctif, l’intrigue qui, comme le nom de la série, se déroule à San Francisco, trouve maintenant une extension à Londres. A mi-chemin entre la vieille Europe et le Nouveau Monde, c’est l’occasion pour le lecteur d’être présenté à de nouveaux personnages, tout aussi déjantés que la fantasque Mme Madrigal. Il y a d’abord Simon, marin déserteur du Britannia et néanmoins digne sujet de sa Majesté ; ou Miss Treves, sa nounou lilliputienne, sorte de pendant anglais de la propriétaire du 28, Barbary Lane. Mais apparemment, côté pétage de plombs, l’aristocratie «fin de siècle» n’a rien à envier aux habitants de la ville lumière. Babycakes est un bon cru des Chroniques de San Francisco. Drôle à souhait, plein de rencontres improbables. Les lecteurs retrouveront avec bonheur les recettes qui ont fait le succès des trois précédents tomes.

La 7 de la page 7: “Naturellement, il se montra sceptique, mais il lui promit qu’une équipe serait immédiatement dépêchée sur les lieux.”

Quatrième tome de la saga des chroniques de San Fransisco de Armistead Maupin, on retrouve dans “Babycakes”, comme toujours, nos personnages barrés mais qui, avec l’âge, commencent à atteindre une certaine forme de maturité. On continue de dévorer leurs histoires rocambolesques. On rit, on pleure, on rêve de cette San Fransisco et on voyage dans l’Europe vue par les yeux de Maupin. Les personnages de Maupin, avec le temps, sont devenus des amis intimes qu’on voudrait pouvoir consoler, avec qui on aimerait aller boire un verre ou se faire un resto. On se crée notre propre road-trip avec ces personnages. On s’identifie à certains, on en méprise d’autres et parfois même on les juge. Oui on ose. En prime, on vit ce voyage avec sous la plume efficace et implacable de Maupin. On attend la suite avec impatience.

Extrait: “La veille du départ de Michael,Mary Ann se retrouva dans l'obligation de passer la nuit au zoo de San Francisco pour attendre la naissance d'un ours polaire.Elle bivouaqua avec son équipe pendant sept heures à côté de l'iceberg an ciment que Blubber,la future mère, était bien forcée d'appeler son chez-elle.Alors qu'approchait la huitième heure,Connie Bradshaw arriva,voutée sous le poids de sa grossesse comme une noble bête de somme.