lundi 21 mars 2016

"L'invitation" de Heather Graham


“L’invitation” de Heather Graham.
Ed. Harlequin (Mira) Pages 432.
Titre Original: “Never Sleep with Strangers”

Résumé: " Vous êtes priés d'assister au meurtre de... ". Chaque année, le célèbre écrivain Jon Stuart réunit les plus fameux auteurs de romans policiers à Lochlyre Castle, en Ecosse. Durant cette " Semaine l'Enigme ", les plus distingués maîtres du mystère se voient attribuer un rôle et doivent résoudre une énigme policière... Dix écrivains et une énigme. Cette année, chacun a répondu à l'invitation de Jon Stuart avec d'autant plus d'empressement que, trois ans auparavant, la femme de ce dernier avait connu une mort atroce lors de la fameuse Semaine de l'Enigme. Suicide, assassinat ? L'énigme n'a jamais été résolue et, pour la première fois depuis la tragédie, Jon réunit les mêmes participants pour un nouveau jeu de rôles. Qui a tué Cassandra Stuart
Dans le huis clos du château, tous se retrouvent face à une énigme : l'assassin de Cassandra Stuart se trouve parmi eux. Chacun, avec ses secrets et ses mesquineries, avait une bonne raison de détester Cassandra. Le criminel se trouve forcément dans le château...

La 7 de la page 7: “L’artiste qui avait créé ces figures de cire était également très habile.”

“L’invitation” est l’exemple parfait du livre où le quatrième de couverture est meilleur que le roman lui-même. Le résumé de l’intrigue est beaucoup plus réussi que l’intrigue elle-même. On nous promet un thriller haletant et on se retrouve à lire une histoire d’amour semi-érotique sans grand intérêt. Mais surtout d’une lenteur aberrante. Le rythme est inexistant. Il n’y en a pas. Vraiment pas. On tourne les pages en espérant que quelque chose arrive. Et quand quelque chose se passe enfin, c’est affligeant de banalité. Les personnages sont trop à l’avant plan. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose, mais ici, c’est une idée désastreuse car les personnages sont tellement stéréotypés qu’on se demande si l’auteur est sérieuse. Le drame c’est qu’elle l’est. Je sais. Je sais. Editions Harlequin. Mais quand même!
Enfin bref, je ne vais pas en faire des lignes et des lignes, je n’ai vraiment pas aimé ce roman. Et c’est bien dommage parce que le quatrième de couverture me plaisait vraiment. Il y a erreur sur la marchandise.

Extrait: “Tant par son visage et le teint de sa peau que par sa silhouette, elle semblait la sœur jumelle de la malheureuse enfant étendue sur le chevalet de torture. C’était une jeune femme dont la splendide crinière blonde retombait librement sur ses épaules et cascadait le long du son dos. Elle avait un corps élancé, aux formes superbes, que mettaient magnifiquement en valeur le jean et le pull moulant qu’elle portait.”

"L'ennemi intime" de Ava Mc Carthy


“L’ennemi intime” de Ava McCarthy.
Ed. France Loisirs 2010. Pages 514.
Titre Original: “The Insider”

Résumé: Henrietta, dite Harry, Martinez, experte en piratage informatique, a toujours aimé le risque. Mais ses frissons virtuels ne deviennent que trop réels quand un inconnu l’agresse brutalement en mentionnant l’opération Sorohan. Ce nom a une résonance terrible : il s’agit d’une allusion au scandale financier qui a conduit son père en prison six ans plus tôt...

La 7 de la page 7: “Il envisagea un instant d’essayer d’en tracer la source mais il savait déjà que ça ne servirait à rien: la dernière ne l’avait menée qu’à un serveur mail anonyme.”

Pour être parfaitement honnête, j’ai commencé “L’ennemi intime” en me disant que j’avais un peu de temps devant moi et que ce roman me ferait passer quelques heures de relaxation. Voilà ce qui s’appelle se tromper magistralement. J’ai littéralement dévoré ce livre d’une seule traite et en une seule nuit. Et j’en suis la première surprise. Je ne suis pas une lectrice féroce de cybercriminalité. Et pourtant, ici, je me suis laissée embarquée immédiatement. Les personnages sont efficaces et bien tournés. On s’attache à eux et on continue inlassablement à tourner les pages tellement on souhaite connaître ce que l’auteur leur réserve.
L’auteur met en place une intrigue somme toute assez simple mais implique ses lecteurs à s’investir dans l’histoire. Le timing est parfait. Quelques longueurs, certes, mais elles ne nuisent absolument pas à l’intrigue. On soupçonne tout le monde et les personnages sont assez bien écrits pour que chacun soit suspecté.  Les rebondissements sont au rendez-vous et sont très efficaces. On se laisse prendre par surprise Presque à chaque fois.
Certes, ce n’est sans doute pas le thriller de l’année mais il est bien construit et permet une lecture agréable et un rythme assez haletant. Une très bonne surprise.

Extrait: “Un picotement lui parcouru la nuque, comme chaque fois qu’elle s’apprêtait à pénétrer dans un système censé garantir une sécurité absolue. Pour un peu, elle aurait crié victoire, mais ce n’était ni l’endroit ni le moment.  Au lieu de quoi, elle ouvrit le fichier de sauvegarde afin de prendre rapidement connaissance de son contenu. Si les noms d’utilisateur apparaissaient en clair, les mots de passe en revanche étaient tous cryptés. Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Nadia bavardait avec un client au téléphone tout en pianotant sur son clavier.”

"L'alouette" de Jean Anouilh


“L’alouette” de Jean Anouilh.
Ed. Folio 2001. Pages 189.

Résumé: "JEANNE - Messire saint Michel ! sainte Marguerite ! sainte Catherine ! vous avez beau être muets maintenant, je ne suis née que du jour où vous m'avez parlé. Je n'ai vécu que du jour où j'ai fait ce que vous m'avez dit de faire, à cheval, une épée dans la main ! C'est celle-là, ce n'est que celle-là, Jeanne ! Pas l'autre, qui va bouffir, blêmir et radoter dans son couvent - ou bien trouver son petit confort - délivrée... Pas l'autre qui va s'habituer à vivre..."

La 7 de la page 7: “Il faut considérer que je suis petite et ignorante et pas forte du tout.”

L’histoire de cette pièce est simple: Anouilh nous livre un texte sur le procès de Jeanne d’Arc. Les didascalies sont bien présentes mais n’empêchent aucunement la possibilité d’aménagements pour la mise en scène.
Anouilh part du principe que, dès le départ, ce procès est une mascarade.
“Warwick: (...) C’est d’un coût exorbitant pour ce que c’est mais je l’ai. Je la juge et je la brûle.”
L’exposition est simple et pourtant ingénieuse. Lors du procès même, Jeanne raconte son histoire par le biais de scénettes jouées à même la scène. Ce stratagème permet de raconter une histoire sans pour autant tomber dans le piège de trop parler et de ne pas assez jouer.
Si la pièce traite du procès de Jeanne d’Arc, Anouilh en profite pour exposer la lutte entre les religions:
“Jeanne: (...) mais je sais que le diable est laid et que tout ce qui est beau est l’œuvre de Dieu.
Le Promoteur: (...) Le diable choisit la nuit la plus douce, la plus lumineuse, la plus embaumée, la plus trompeuse de l’année... Il prend les traits d’une belle fille toute nue, les seins dressés, insupportablement belle...
Cauchon: Chanoine! Vous vous égarez. Vous voilà bien loin du diable de Jeanne, si elle en a vu un. Je vous en prie, ne mélangeons pas les diables de chacun.”
Mais au-delà de cela, Anouilh met en opposition la religion et Dieu lui-même:
“Jeanne: Je dis que Sa Volonté soit faite même s’Il a voulu me rendre orgueilleuse et me damner. C’est aussi Son Droit.
Le Promoteur: Epouvantable, ce qu’elle dit est épouvantable! Dieu peut-il vouloir damner une âme? Et vous l’écoutez sans frémir, Messires? Je vois là le germe d’une affreuse hérésie qui déchirera un jour l’Eglise...”
Anouilh utilise son sujet pour réellement aborder son propos: religion et politique. Là où les personnages religieux s’écharpent, seul Warwick reste calme. Or il est le personnage qui représente la politique. Il le fit lui-même: il se fiche du sort de Jeanne, il la trouve même sympathique. Cependant,  il doit rester cohérent: Jeanne doit être jugée coupable. Afin de sauver la face de l’Angleterre, ni plus, ni moins.
Au final, force est des constater que le texte est assez ennuyeux. Seuls le personnage de Warwick est assez intéressant pour qu’on continue la lecture.
Ce n’est certainement pas la meilleure pièce d’Anouilh et on est plutôt content de voir “L’Alouette” se terminer.

"Best Love Rosie" de Nuala O'Faolain


“Best Love Rosie” de Nuala O’Faolain
Ed. Sabine Wespieser 2007. Pages 529.

Résumé: Après avoir vécu et travaillé loin de chez elle, Rosie décide qu'il est temps de rentrer à Dublin, pour s'occuper de Min, la vieille tante qui l'a élevée. Ni les habitudes ni les gens n'ont changé dans ce quartier populaire où elle a grandi, et la cohabitation avec Min, que seule intéresse sa virée quotidienne au pub, n'a rien d'exaltant : en feuilletant des ouvrages de développement personnel, censés apporter des solutions au mal-être de Min, Rosie se dit qu'elle s'occuperait utilement en se lançant elle-même dans la rédaction d'un manuel destiné aux plus de cinquante ans. Sa seule relation dans l'édition vivant aux Etats-Unis, elle se frottera donc au marché américain.

La 7 de la page 7: “Attention à pas m’en mettre dans les yeux! disait-elle.”

Si “Best Love Rosie” est une réussite littéraire, on ne peut s’empêcher de s’ennuyer ferme à certains moments.
Bref, “Best Love Rosie” est un hymne à l’Irlande. Une déclaration d’amour aux livres et une chronique de vie. Tout s’agence parfaitement mais je ne suis pas parvenue à m’impliquer dans le sort de ces personnages atypiques. La protagoniste est parfois, un peu “too much”. Des traits trop forcés et une tête à claques en puissance. On oscille entre la naïveté et le cynisme à tour de page. O’Faolain nous offre un personnage trop versatile et donc ne nous permet pas de nous soucier de son sort. La chronologie est parfois confuse et on se perd un peu dans cette histoire qui ne devient jamais vraiment la nôtre.
Si “Best Love Rosie” est un très bon roman, je n’ai malheureusement pas adhérer au projet. Dommage.

Extrait: “Il faut du temps pour revenir quelque part. A l’époque où je changeais fréquemment de pays, je jouissais dans chacun des privilèges de l’expatriée; je pouvais me réinventer partout où j’allais. Mais mes amies de Kilbride ne me laissaient rien passer. Visiblement, elles savaient mieux que quiconque comment je devais me conduire, bien que Peg, qui n’était jamais loin puisqu’elle sortait avec Monty, fût plus jeune que moi, et Tessa, avec qui j’étais amie depuis l’époque de la librairie Boody, plus âgée.”

vendredi 18 mars 2016

"Revival" de Stephen King


“Revival” de Stephen King.
Ed. Albin Michel 2015. Pages 438.
Titre Original: “Revival: A Novel”

Résumé: La foudre est-elle plus puissante que Dieu ?
Il a suffi de quelques jours au charismatique Révérend Charles Jacobs pour ensorceler les habitants de Harlow dans le Maine. Et plus que tout autre, le petit Jamie. Car l’homme et l’enfant ont une passion commune : l’électricité.
Trente ans plus tard, Jamie, guitariste de rock rongé par l’alcool et la drogue, est devenu une épave. Jusqu’à ce qu’il croise à nouveau le chemin de Jacobs et découvre que le mot « Revival » a plus d’un sens... Et qu’il y a bien des façons de renaître !
Addiction, fanatisme, religion, expérimentations scientifiques… un roman électrique sur ce qui se cache de l’autre côté du miroir. Hommage à Edgar Allan Poe, Nathaniel Hawthorne et Lovecraft, un King d’anthologie.

La 7 de la page 7: “En général, ça marche.”

Les gens qui vous aiment vous offrent de beaux cadeaux à Noël. J’ai reçu “Revival” de Stephen King. Et j’en viens donc à la conclusion qu’il y a bien des gens qui m’aiment! Car ce nouveau King est une petite merveille. J’ai retrouvé mes premiers émois “kingesques”. L’histoire est faussement lente. En effet, l’histoire est en fait un peu secondaire. Ce qu’il y a d’important, ce sont les personnages. Leur vécu, leur ressenti, leurs sentiments... King ne s’emballe pas et nous raconte l’histoire de Jamie. Car malgré ce qu’on peut croire, c’est bien Jamie le sujet de King. Entre gloire et déchéance, sa vie est rythmée par le révérend Jacob mais on reste sur le chemin de Jamie, sans jamais dévier. Un  récit peu banal qui donne une envie irrésistible, d’encore lire un chapitre avant de se coucher. Juste encore un… Et sans le vouloir ni s’en rendre compte, on arrive à la fin. Une fin magistrale et maîtrisée. Entre croyance improbable, foi aveugle et doute persistant, King nous balade dans son imaginaire et on se laisse emporter avec délectation.
Et cette histoire est particulièrement bien écrite. King en profite pour nous livrer une critique sans faille et percutante des évangélistes télévisuels et autres charlatans.
Véritable business aux États-Unis, le commerce de la religion se fait malmener sous la plume de l’auteur avec brio.
Un vrai régal. King n’a jamais aussi bien porté son nom.

Extrait: “Il brandit sa main droite. A son majeur était passé un large anneau d’or. Il y eut un tonnere d’applaudissements t d’alléluias. J’essayais toujours de comprendre à quoi rimait tout cela et ne trouvais pas de réponse. Voilà des gens qui quotidiennement se servaient d’ordinateurs pour rester en contact avec leurs amis et se tenir au courant des nouvelles du jour, des gens qui tenaient les satellites météo et les greffes de poumons pour acquis, des gens qui comptaient vivre des vies de trente à quarante ans plus longues que celles de leurs arrière-grands-parents. Et ils étaient là, à gober une histoire à côté de laquelle le Père Noël et la petite souris paraissaient d’un réalisme grossier. Il leur fourguait des conneries et ils adoreraient ça. J’avais l’idée consternante que lui aussi adorait ça, ce qui était pire. Ce n’était pas là l’homme que j’avais connu à Harlow, ni celui qui m’avait recueilli, cette nuit-là, à Tulsa. Quoique… quand je pensais à la manière dont il avait traité le père de Cathy Morse, ce brave fermier stupéfait et bouleversé, je devais admettre que cet homme-là était déjà en devenir.”

"Meurtre au Champagne" de Agatha Christie


“Meurtre au champagne” de Agatha Christie.
Ed. Club des Masques 1995. Pages 251.
Titre original: “Sparkling Cyanide”

Résumé: Elle avait bien de la chance, Rosemary. Tout semblait lui sourire. Très belle et très riche, elle voguait de cocktails en bridges, de dîners en bals avec la grâce d'une princesse. Ajoutés à cela nue nuée d'admirateurs, un mari effacé et un amant fougueux, elle pouvait s'estimer comblée. Pas une ombre au tableau. Même sa mort était restée dans la note. Mondaine jusqu'au bout, Rosemary s'était écroulée dans un restaurant de luxe, une flûte de champagne à la main, tandis que jouait l'orchestre.
Voilà qui ne manque pas de panache. Même si le cyanure gâte un peu le teint...

La 7 de la page 7: “Le texte s’arrêtait là.”

“Meurtre au champagne” est un roman policier assez bien construit. Mais il est loin d’être un des meilleurs de Christie. Pourtant tout y est: la jeune ingénue, les personnages tous suspects, des mobiles à foison. Mais les clefs de l’intrigue sont peut-être données trop tôt. Christie a l’habitude de donner des indices dans ses romans afin que le lecteur puisse, de lui-même, essayer de trouver la solution. Mais ici, on comprend tout trop vite. Si on reste un peu interdit devant le mobile, on découvre assez rapidement la mécanique du meurtre. De ce fait, la fin est bien trop prévisible. Cela reste un bon policier mais certainement pas un a mettre en avant lorsqu’on parle d’Agatha Christie.

Extrait: “Elle était obligée de s’avouer qu’il avait raison. Si Rosemary n’avait pas été là, rien ne lui aurait été plus facile que d’amener George à la demande en mariage. Et elle sait qu’elle l’avait rendu heureux… Une sourde rage montait en elle, tandis qu’elle se découvrait des sentiments passionnés qu’elle ne se connaissait pas. Victor Drake, cependant, la regardait avec amusement. Il aimait mettre des idées dans la tête des gens. Ou comme il venait de le faire, leur révéler les idées qu’ils avaient déjà…”

"Psycho" de Richard Montanari


“Psycho” de Richard Montanari.
Ed. Le Cherche Midi 2007. Pages 474.
Titre Original: “The Skin Gods”

Résumé: Philadelphie vit des heures noires. Un tueur sanguinaire s'inspire des scènes de meurtre les plus célèbres de l'histoire du cinéma, de Psychose à Scarface, pour commettre des crimes atroces. Lorsque l'inspecteur Byrne, le héros de Déviances plus sombre et tourmenté que jamais, et sa coéquipière Balzano prennent l'affaire en main, c'est une véritable descente aux enfers qui les attend. Salles obscures, clubs sado-maso, milieu du porno, univers glauque des snuff-movies : ils doivent s'immerger dans les ténèbres de l'âme humaine pour atteindre le tueur cinéphile. Quand Byrne réalisera que cette enquête le touche de près, c'est au-devant de ses pires cauchemars qu'il devra aller s'il veut épargner de nouvelles vies.

La 7 de la page 7: “Mais elle l’avait clairement vu arriver.”

Qu’est-ce que ce quatrième de couverture me plaisait. Tout ce que j’aime s’y trouve. Un bon thriller mêlé de références cinématographiques. Que peut-on demander de plus?
Et malheureusement, on trouve assez rapidement une réponse à cette question: On s’attend à tout sauf à “Psycho”.
Les personnages sont stéréotypés au possible. L’intrigue, pourtant bonne au départ, se transforme en désastre en quelques pages seulement. Montanari tombe dans une facilité déconcertante à une rapidité fulgurante. Il faut moins de cent pages pour se désintéresser totalement de l’intrigue. Je ne vais donc pas en faire des tonnes. Je n’ai pas aimé. Vraiment pas. Une très grosse déception.

Extrait: “Byrne demeura silencieux. Il avait vu tant de personnes aux prises avec le chagrin, chacun à sa façon. Combien de femmes avait-il vues nettoyer leur maison encore et encore après la mort violente d’un proche? Remettant sans cesse les oreillers bien en  place, faisant et refaisant les lits. Et combine d’hommes avait-il vus astiquer leur voiture sans raison ou tondre leur pelouse chaque jour? Le chagrin harcèle lentement le cœur humain. Les gens ont souvent le sentiment que s’ils demeurent en mouvement, ils le sèmeront.”

"Oh My Dear!" de T.J. Middleton


“Oh, My Dear!” de T.J. Middleton
Ed. Pocket 2015. Pages 384.
Titre Original: “Cliffhanger”

Résumé: Al Greenwood, 50 ans, est taxi dans un paisible petit village côtier d’Angleterre. C’est un homme qui a tout pour être heureux, et qui le serait certainement s'il n’était pas marié à l’encombrante Audrey. Aussi décide-t-il tout simplement un jour de s’en débarrasser en commettant le crime parfait. Le scénario est vite trouvé : profitant d’une des promenades quotidiennes de sa femme, il la précipitera du haut d’une falaise. Aussitôt dit, aussitôt fait, Al s’embusque sur le parcours habituel d’Audrey, surgit à son passage et la précipite dans le vide. Tout se passe comme prévu sauf… sauf qu’en rentrant chez lui, il tombe nez à nez avec sa femme qui lui annonce avoir exceptionnellement renoncé à sa petite ballade. Si il n’a pas tué Audrey, qui est donc sa victime ? Et comment va-t-il déjouer la perspicacité des enquêteurs, dans cette petite communauté où tout le monde se connaît ? Quant à sa femme, qui commence à trouver son comportement étrange, ne faut-il pas qu’il s’en débarrasse très vite, avant qu’elle ne nourrisse trop de soupçons ? Mais cela ne fera-t-il pas de lui un tueur en série ? Commence alors pour Al un long cauchemar, dont il est encore très loin de soupçonner l’issue. Avec ce premier roman jubilatoire, T. J. Middlteon nous propose un condensé d’humour noir très british doublé d’une intrigue palpitante.

La 7 de la page 7: “C’était ma maison désormais.”

Le quatrième de couverture est assez alléchant et donne justice à ce petit roman sans prétention mais diablement efficace. L’intrigue est simple mais bien exploitée: Al veut tuer sa femme, Audrey. Par un temps de chien, il la pousse d’une falaise. Lorsqu’il rentre chez lui, Audrey est tranquillement assise dans le fauteuil du salon. Qui a-t-il donc poussé de la falaise? Ce court synopsis n’est en soi, que l’amorce de l’histoire. En effet, Middleton nous donne un petit roman où chacun épie son voisin et où les relations se font et se défont. Afin de pouvoir révéler qui Al a poussé de la falaise, il faut que Middleton nous explique les relations entre les différents personnages, leur passé, leur défauts etc.
Et l’auteur le fait particulièrement bien. On se retrouve coincé dans ce petit village anglais à tourner les pages afin de connaître le pourquoi du comment et les conséquences des actes de Al (entre autres)
Le lecteur va de rebondissements en rebondissements et en vient à plaindre ce pauvre Al qui ne sait plus où donner de la tête.
Or c’est peut-être le seul reproche qu’on peut émettre concernant “Oh, My Dear!”. Il y a peut-être trop de rebondissements et de ce fait, on a de plus en plus de mal à croire à cette histoire. Mais c’est vraiment un petit défaut qui est souvent effacé par la qualité de l’écriture et le rythme effréné que Middleton donne à son roman.
On passe un bon moment avec ce roman drôle et tragique en même temps.

Extrait: “J’ai change le sac à main. Je ne peux pas blairer les gens qui font du jogging. Je m’en fiche que les gens fréquentent un club de gym, qu’ils se chopent des hernies sur les rameurs mécaniques, mais les joggeurs, qui font ça dehors, devant tout le monde, avec leurs halètements affreux et leurs yeux vitreux, ça devrait être interdit. Il y a des exceptions à la règle, bien sûr. Les filles de dix-huit ans qui font du bonnet D, moulées dans du lycra, ça passe.”

"Au château d'Argol" de Julien Gracq


“Au château d’Argol” de Julien Gracq.
Ed. José Corti 1989. Pages 182.

Résumé: Au château d'Argol est le premier roman de Julien Gracq, le premier roman surréaliste tel qu'André Breton le rêvait. Les sens irrigués par les lieux et les espaces sont l'image la plus exacte des relations entre les êtres, Albert le maître d'Argol, Herminien son ami, son complice, son ange noir, et Heide, la femme, le corps. Tout autour, sombre, impénétrable, la forêt. Tout près, l'océan.

La 7 de la page 7: “Pendant toute cette ascension, la plus haute tour du château, surplombant les précipices où le voyageur cheminait péniblement, offusquait l’oeil de sa masse informe, faite de schistes bruns et gris grossièrement cimentés et percée de rares ouvertures, et finissait par engendrer un sentiment de gêne Presque insupportable.”

J’adore les châteaux. Je les trouve fascinants. Ils sont, sans doute, un des lieu romanesque des plus envoûtants et mystérieux. Tout peut se passer dans un château. Sauf dans celui d’Argol où il ne se passe strictement rien. Vraiment rien.
Roman surréaliste où la description est plus importante que l’action; cette première est totalement maîtrisée. La narration descriptive est implacable. Mais cela ne permet pas au lecteur de s’investir dans l’histoire. Mais en même temps, il n’y a pas vraiment d’histoire. Le sujet est le château. Sa beauté, ses pièces, son charme, son mystère. Et en cela, “Au château d’Argol” est une réussite. On est au côté du narrateur tant les descriptions sont efficaces et précises. Mais on s’ennuie. On fait la visite du propriétaire en croisant les mots qui se collent les uns aux autres avec intelligence mais on reste sur sa faim. “Au château d’Argol” ne sera, sans aucun doute, jamais mon château préféré même si la prose en elle-même restera un très bon souvenir.

Extrait: “Enfin,  la nuit se fit sur la forêt et le ciel révéla toutes ses étoiles, mais rien ne pouvait arrêter leur marche divine et mieux gardée au sein du temple des bois que par la sphère tutélaires des allées des tombeaux d’Egypte. La confiance réduite en eux à l’état de pure vertu, et pareille à l’émanation laiteuse de la nuit baignée de lune, les visitait avec ses grâces primitives. Comme autrefois, en un jour d’angoisse. Sur les plaines des eaux, maintenant pour eux il n’est plus de recul possible. Mais la nuit se prolonge et l’allée étire sa fatale longueur. Et ils savent maintenant, de toute certitude, que leur route ne finira qu’à la surprenante splendeur du matin.”

jeudi 3 mars 2016

"Sweeney Todd, le diabolique barbier de Fleet Street" de J.M. Rymer.


“Sweeney Todd, le diabolique barbier de Fleet Street” de J.M. Rymer
Ed. Tinder Press 2015. Pages 346.
Titre Original: “The String of Pearls: A Romance”

Résumé: C'était un homme grand, au physique ingrat, comme un pantin dont les parties auraient été mal assemblées, doté d'une bouche, de mains et de pieds si immenses qu'il était lui-même, d'une certaine manière, une véritable curiosité de la nature. » Lorsque l’on apprend la disparition d’un jeune marin dans la capitale anglaise, tous ses amis se mettent à sa recherche. Les pistes semblent toutes mener près du salon d’un barbier, aux abords de Fleet Street. Sweeney Todd a encore frappé…

La 7 de la page 7: “J’ai une peur bleue des chiens, dit Sweeney Todd.”

Si comme moi, vous avez vu l’excellent film du même nom de Tim Burton avec le très bon Johnny Depp, la terrible Helena Bonham Carter et le très regretté Alan Rickman, oubliez tout ce que vous avez vu dans ce film car ce n’est que partiellement inspiré (En gros, les personnages ont les mêmes noms...)
Mais ce n’est pas du tout une mauvaise chose car on se laisse surprendre par cette “nouvelle” histoire. Tout y est maîtrisé de la première à la dernière page.
Commençons par la plume. Elle est juste, efficace et acérée comme le rasoir de Sweeney Todd. Les mots se collent les uns aux autres avec un plaisir évident et une aisance quasi surnaturelle.
Ensuite, l’histoire et ses personnages. “Sweeney Todd, le diabolique barbier de Fleet Street” est une réussite magistrale. L’ambiance est glauque en gardant une certaine classe. Le Londres de Rymer donne envie et en même temps, on souhaiterait être n’importe où sauf dans les parage de Fleet Street. Les personnages rythment l’histoire à un pas faussement lent. On tourne les pages avec avidité tellement on souhaite connaître le dénouement de cette histoire dérangeante. Au détour d’une porte ou d’une rue, le danger rôde, tapis dans le coin de notre tête. On anticipe des événements qui n’arriveront jamais et on se laisse avoir par des rebondissements imprévisibles. Mêlant les thèmes de Dickens et l’ambiance de Stoker, Rymer nous offre une claque magnifique dans la figure. Tout est savamment dosé pour nous prendre violemment par surprise mais tout en gardant une légèreté toute morbide mais tellement classieuse.
A lire, encore et toujours, sans jamais s’arrêter!

Extrait: “Oh, comme il est déchirant de penser qu’une personne telle que Johanna Oakley, un être si rempli de ces sentiments doux et sacrés qui devraient apporter la plus pure des félicités, en arrive à songer que la vie a perdu tout son charme, et que seul lui reste le désespoir. “Je vais attendre jusqu’à minuit, dit-elle, et même à cette heure il sera inutile que je cherche le repos. Demain, je chercherai par moi-même à obtenir de ses nouvelles.” Enfin, minuit arriva. La journée venait officiellement de s’achever, emportant avec elle ses derniers espoirs. Elle passa toute cette nuit-là à sangloter, ne s’arrêtant parfois que pour glisser dans un sommeil agité, ponctué d’images douloureuses qui semblaient toutes, cependant, impliquer la même supposition, à savoir que Mark Ingestrie n’était plus. Mais même la nuit la plus épuisante, pour la plus épuisée des personnes, doit s’achever; enfin, la douce et magnifique lumière de l’aurore pénétra dans la chambre de Johanna Oakley et chassa une partie de ses horribles visions nocturnes, bien qu’elle n’eût que peu d’effet sur la tristesse qui s’était emparée d’elle.”

"Sujet 375" de Nikki Owen


“Sujet 375” de Nikki Owen
Ed. Super 8 2015. Pages 413.

Résumé: Maria Cruz-Banderras est en prison. Si elle est convaincue d’être innocente des faits qui lui sont reprochés, toutes les évidences sont contre elle. Son alibi ne tient pas la route et les tests ADN confirment qu’elle était bien sur les lieux du crime au moment du meurtre. Atteinte du syndrome d’Asperger, Maria se souvient de tout… sauf de ce qui la concerne intimement. Auprès des thérapeutes, elle va puiser dans ses facultés uniques pour tenter de se remémorer son passé récent. Des endroits étranges. Des gens plus étranges encore… Le puzzle épars qu’elle essaie de reconstituer ne semble pas faire sens. Sauf à croire à des années de mensonges et de faux-semblants. Ce qui est, bien sûr, totalement impossible. À moins que… Trauma, amnésie, menace latente… le roman de Nikki Owen entraîne le lecteur dans un véritable cauchemar éveillé. Entrez dans ce thriller psychologique à l’intrigue diabolique, où la tension monte au fil des pages jusqu’à devenir insupportable.

La 7 de la page 7: “L’homme incline la tête.”

Avec “Sujet 375”, on oscille entre un côté psychologique et un côté conspiration. On ne sait pas très bien où l’auteur veut nous emmener. Maria est-elle psychologiquement instable ou est-elle le centre d’une expérience menée par le gouvernement? Le doute plane longtemps. Trop longtemps. Le récit s’enlise dans sa propre intrigue. Dès que l’on pense avoir trouvé la solution, on nous envoie ailleurs. Sans réellement se soucier de savoir si on continue à suivre. Danser d’un pied sur l’autre pendant 413 pages, c’est beaucoup trop long. Surtout qu’on tergiverse longtemps pour une fin qui, somme toute, ne relève pas l’attente engendré par l’histoire. Vous hésitiez entre x et y? Voilà, c’est y. Merci bonsoir. C’est un peu léger quand on vient de se manger 400 pages... Là où le roman se veut complexe, il est juste contradictoire. Là où il se veut haletant, il est inutilement répétitif.
Et c’est vraiment dommage car cela commençait bien. Et le procédé d’attente fonctionne un moment. Mais au final, est-ce que ça en valait vraiment la peine? Dans sa conclusion, l’intrigue se dégonfle et l’auteur choisit la solution de facilité, celle qui demande le moins d’explication et fait écrouler des personnages qui, un moment, étaient bien écrits voir même attachants. Tout ça pour ça. Vraiment dommage.

Extrait: “L’homme s’accroupit et ramasse la photographie: l’image de la tête pend entre ses doigts. Nous la regardons, tous les deux, simples spectateurs. Un léger courant d’air s’immisce par la fenêtre et le visage s’agite d’avant en arrière. Nous ne disons rien. Dehors, la circulation bourdonne, les bus crachent des nuages de pollution. Et la photographie continue à se balancer. Le crâne, les os, la chair. Le prêtre est vivant. Il n’est pas éclaboussé de sang et d’entrailles. Ses yeux ne sont pas écarquillés, froids, figés par la mort. Il est vivant, il est chaud, il respire. Je frissonne; l’homme ne bronche pas.”

"Oedipe Roi" de Didier LaMaison


“Oedipe Roi” de Didier LaMaison
Ed. Gallimard 1999. Pages 158.

Résumé: Il avait traversé silencieusement une ville qui suintait la mort. Pyrolos, le portier de la citadelle, l'avait conduit jusqu'au vestibule du palais où les servantes l'avaient accueilli, selon le rituel. Souvent interrogé sur les circonstances de cette arrivée, Pyrolos n'avait pu rapporter que trois choses sur l'étrange voyageur : la rareté de ses paroles, l'absence de tout bagage, l'enflure insolite de ses sandales. D'où venait-il ?
- Du sanctuaire de Delphes.
Où allait-il ?
- Vers mon destin.
Comment s'appelait-il ?
-Regarde mes pieds. On m'appelle Œdipe.
Bien des années plus tard, nul n'en saurait davantage.

La 7 de la page 7: “L’assemblée du people lui avait envoyé deux représentants.”

Je suis une très grande admiratrice de l’œuvre originale de Sophocle. Je prenais donc le risque d’être totalement envoûtée par cette version de LaMaison ou alors, que du contraire être totalement déçue. Et aucun des deux n’est arrivé. J’ai aimé. Sans plus. Et si j’ai aimé, c’est surtout que j’ai adoré l’œuvre originale. LaMaison n’apporte pas grand chose au récit de Sophocle. Juste, peut-être un style d’écriture romanesque qui, au final, ne rajoute pas grand chose à une histoire déjà parfaite, en tout cas en ce qui me concerne. Donc un “sans plus” pour ce roman. Mais bon, si il peut envoyer ceux qui ont aimé vers l’œuvre originale, pourquoi pas…

Extrait: “Les hommes ne combattent l’ignorance que lorsqu’elle apporte le malheur. Que l’ignorance leur profite, et ils se soucient de la science des devins comme d’une guigne!”

"Relic" de Preston & Child


“Relic” de Preston & Child.
Ed. J’ai Lu 2010. Pages 543.

Résumé: Une équipe d'archéologues massacrée en pleine jungle amazonienne...
Les caisses contenant leurs découvertes acheminées au Muséum d'histoire naturelle de New York... et oubliées dans un sous-sol. Meurtres au Muséum d'histoire naturelle de New York. Quelques années plus tard, le musée annonce une exposition consacrée aux superstitions et croyances mystérieuses des peuples primitifs. Mais les préparatifs sont troublés par une série de crimes aussi sanglants qu'inexplicables.
Le criminel : un homme ou une entité inconnue ? Une menace terrifiante hante les couloirs et les salles du Muséum, un meurtrier d'une force et d'une férocité inouïes. On parle même d'un monstre. De quoi éveiller la curiosité d'Aloysius Pendergast, du FBI, expert en crimes rituels...

La 7 de la page 7: “Depuis l’enfance, il le portait à son coeur: une fleche en or surmontée d’une autre en argent.”

En toute honnêteté, je connaissais déjà l’histoire de “Relic” avant de lire le livre et j’étais assez sceptique. Je n’étais pas certaine d’être le lecteur visé par ce roman. Mais j’ai quand même voulu essayer. En voilà une bonne idée! En effet, j’ai tout de suite été emportée par ce récit. L’histoire est bien menée sans trop tomber dans les clichés du genre. “Relic” est aussi la première enquête de Pendergast. Bien curieux personnage que cet enquêteur très peu conventionnel. Là où Preston & Child trouvent le juste milieu, c’est justement grâce aux personnages. Ils nous offrent un panel assez large des personnalités nécessaires à la bonne conduite de l’intrigue. Chacun y trouvera ses propres affinités.
Une bonne découverte que je vais certainement approfondir avec la suite des aventures de Pendergast.

Extrait: “Il était midi. Les nuages accrochés au sommet de Cerro Gordo se détachèrent avant de se disperser. Là-haut, très loin, au-dessus de sa tête, entre les branches les plus élevées de la forêt, Whittlesey distinguait les éclats d’un soleil doré. Des animaux, sans doute des singes-araignées, se disputaient sous la voûte en poussant des hurlements, et un macaque descendit en piqué vers lui en gloussant des obscénités. Whittlesey s’arrêta à côté d’un jaraconda déraciné.”

"Le Couturier" de Slawomir Mrozek


“Le Couturier” de Slawomir Mrozek
Ed. Noir Sur Blanc 2000. Pages 92.
Titre original: “Krawiec”

Résumé: Slawomir Mrozek est un dramaturge polonais, dont l'oeuvre est caractérisée par un humour noir corrosif lui permettant de mettre en boîte la dictature communiste polonaise. Il est rentré en Pologne en 1996 et peut désormais savourer plus librement son succès. Le Couturier est une pièce majeure de Mrozek qui fut jouée à plusieurs reprises en Europe. C'est un texte grave et pourtant teinté de beaucoup d'humour qui interroge sur le rôle de la culture dans la société. On y devine, à peine voilées, les allusions à la censure d'un régime et sa main-mise sur toutes les données culturelles disponibles à la population. En quoi la culture peut-elle être affectée par une révolution ou une dictature ? Et la culture est-elle ce qui pourrait sauver l'humanité ? L'absurdité est présente au fil du texte, le régime totalitaire est désossé, ses valeurs vilipendées (le fameux retour à la nature et aux valeurs saines, meilleur moyen d'aveugler les foules et les conduire à l'esclavage du corps empêchant le développement de l'esprit critique). La barbarie peut se cacher derrière les apparences les plus subtiles, devenir la plus belle derrière ses beaux habits (quel habile manipulateur qu'un couturier). A travers l'histoire d'un couturier qui s'adapte à la situation et rêve de démesure (créer une robe de chair humaine, tout un symbole...), pare une jeune femme des vêtements les plus luxueux et vit dans l'apparence, c'est toute la fragilité d'un empire social et politique qui est évoquée avec beaucoup de subtilité par Slawomir Mrozek.

La 7 de la page 7: “Le couturier: (...) Et c’est justement pour cela que je dis à présent: Halte!”

Ce texte théâtral de Mrozek est intéressant de plusieurs points de vue. Premièrement, les didascalies sont importantes durant tout le texte. Elles mettent l’action bien en place et sont très précises quant aux lieux mais surtout quant aux positionnements et aux costumes. En effet, vu le sujet de la pièce, il est important que Mrozek appuie son propos de didascalies fortes.
Deuxièmement l’intrigue en elle-même. Elle est simple et pourtant terriblement efficace. Un royaume gouverné par une Excellence est envahie par des barbares. Ces derniers prennent le pouvoir. Au milieu de tout ça, nous avons un couturier. Il fait et défait les allégeances et les hiérarchies par ses costumes. L’intrigue est intelligente et permet à Mrozek de mettre en avant son propos.
Justement quel est donc le propos de cette pièce?
Le couturier déteste l’air naturel de l’homme, c’est-à-dire sa nudité. L’apparence est, pour lui, primordiale:
Le Couturier: (...) La nudité, c’est le néant, la nature, le chaos, la barbarie. Lorsque j’aurai atteint mon but, qui sait si je ne me mettrai pas à tailler des habits pour les animaux et même pour les végétaux et les minéraux . J’habillerai tout. C’est-à-dire que je donnerai un sens à tout.”
Le couturier ne peut concevoir un monde de nudité ou de “non-apparence” Et c’est bien normal qu’il ait cette réaction vu que, de par son métier même, il est le “produit” ainsi que “l’instigateur” de cette lutte contre la nudité. C’est lui qui conçoit les vêtements. De par son rôle, il est immédiatement le défenseur de l’apparence. Il dénonce également, d’une certaine manière, l’hypocrisie de la doctrine du “beau”:
“Le Couturier: (...) Chacun veut porter ce que tout le monde porte, mais qu’en même temps personne d’autre ne possède.”
Il est totalement acquis à la cause. Au point de suggérer des mesures drastiques afin de pouvoir continuer son œuvre:
Le Couturier: Que votre Excellence efface, adoucisse sa virilité! Il suffit d’une petite opération (...) Qui donc parle ici de nature qui reste accroché à une animalité rétrograde?”
Il est tellement sûr de lui qu’il se croit au-dessus de toute loi et de tout homme:
Le Couturier: Je ne suis qu’un couturier, et non une Excellence”  fait il remarquer sarcastiquement.
Il sacrifie l’essence de l’être pour mettre son apparence au centre des débats.
Le Couturier: son succès ne vient pas de son corps, mais de son artifice. Elle se laisse contempler, mais pas déshabiller ni toucher. (...) Eux, ils désirent cette nudité seulement parce qu’elle est recouverte. Je crée un désir qui ne sera jamais assouvi. Donc je crée un désir pur, pur comme l’idée. De l’abîme des non-êtres j’extrais des noms et je lance les choses nommées dans l’espace du monde. Je crée de la culture.”
Quand on lui oppose un argument, il préfère attendre car il est tellement sûr de son fait qu’il sait qu’on lui donnera raison tôt ou tard. Et il a raison.
“L’Excellence: Je n’ai pas le temps. Je préfère vivre nu que mourir en grande tenue. (...) C’est elle!
Le Couturier: Qui?
L’Excellence: Mon aimée! Je ne peux pas me montrer, je suis nu.”
Ses opposants font donc directement volte-face et donnent raison au couturier. Et comme une sorte de “punition” il fait et défait le personnage de l’Excellence. Afin de le couvrir, il lui fait porter un habit de moine et le fait changer de rôle. Mais c’est justement quand le couturier n’a plus d’opposition que Mrozek fait entrer Carlos sur scène. Ennemi farouche de la doctrine du couturier, Carlos s’opposera à celui-ci du début à la fin de la pièce.
“Carlos:  Depuis ma petite enfance, je n’ai pas encore aperçu ton vrai visage. Je ne sais pas quelles rides le couvrent, ni quels yeux me regardent, et j’en ai pourtant le droit. (...) Je veux ta vérité, et non ton apparence. (...) Ce que tu portes en toi et non sur toi.”
Techniquement, lorsque Onufre et ses barbares prennent le pouvoir, tout le monde leur fait allégeance. Le couturier, afin de les “débarbariser” ainsi que Carlos qui espère que les choses reviennent à leur vraie nature grâce aux barbares. Mais c’est le couturier qui gagne cette bataille en jouant sur la vanité d’Onufre et sur son attirance pour Nana, la courtisane. Très vite, Onufre commence à s’adapter à la vision du couturier:
“Carlos: Le chef se rase...”
Et c’est exactement ce que le couturier avait prévu:
“Le Couturier: (...) J’ai mon plan. Un Onufre sauvage est une menace pour nous. S’il tombe amoureux, il va changer. Il s’est déjà rasé.”
Le propos de Mrozek, ici, est clair: Onufre, un sauvage, va changer car il aime. C’est donc notre désir de plaire à l’autre ou celui de nous conformer à ce qui nous entoure qui gagne contre la nature propre de l’homme. Le couturier est donc le “bras armé” de cette vision où l’apparence prime sur le reste.
“Le Couturier: Ils démolissent pour faire bonne mine, pour ne pas avoir l’air... Bientôt ils vont commencer à se regarder dans le miroir, et puis à se laver les dents. Et ainsi, petit à petit, tout reviendra à la normale. Alors je recommencerai au commencement. Ce n’est pas notre force qui les vaincra, mais leur propre vanité. Chacun d’eux est aussi vain que votre ex-Excellence.”
Et cela fonctionne à merveille. Et lorsque, confronté aux accusations de Carlos, Onufre se défend, il le fait d’une manière à justifier son changement non par vanité mais pour des raisons politiques:
“Onufre: (...) est-ce que tu penses que j’ai changé de costume pour le plaisir? Que j’ai mis cette défroque solennelle parce qu’elle me plaît? Non, c’est pour le peuple.”
Il a bon dos le peuple. La fin justifie les moyens même si Onufre ne trompe personne, mis à part, peut-être, lui-même. Bien vite, Onufre regrette son changement car il en est devenu, en quelque sorte, l’esclave. Mais il est déjà trop tard pour Onufre de faire demi-tour.
“Onufre: (...) dans la forêt, j’étais libre.”
On en vient alors au but ultime du couturier: posséder le seul tissu, le seul costume que personne ne possède mais que tout le monde a: la peau humaine. L’apparence des autres devient la nôtre, leur nature devient “commune”. L’apparence a gagné. Mrozek critique avec virulence le paraître, la beauté qui se perdent et perdent ceux qui veulent se l’accaparer. On refuse notre nature même en la cachant. Elle n’est plus défendue que par une minorité d’idéalistes sans arme. Quel que soit le dictateur au pouvoir et où que l’on soit, le successeur tombera toujours dans les mêmes pièges que son prédécesseur. Règle politique immuable à tout système politique, Mrozek nous livre ici une pièce engagée à plusieurs niveaux. Chacun tenant la main de l’autre. Un texte fort qui se doit de parler à chacun d’entre nous. La culture contre l’apparence. Et la première sera toujours celle qui payera les pots cassés de la deuxième.