dimanche 18 mars 2018

"Ne fais confiance à personne" de Paul Cleave


« Ne fais confiance à personne » de Paul Cleave
Ed. Sonatine 2017. Pages 460.
Titre original : « Trust No One »

Résumé : Il y a pire que de tuer quelqu'un : ne pas savoir si on l'a tué.
Les auteurs de thrillers ne sont pas des personnes très fréquentables. Ils jouent du plaisir que nous avons à lire d'abominables histoires, de notre appétit pour des énigmes qui le plus souvent baignent dans le sang. Ce jeu dangereux peut parfois prendre des proportions inquiétantes et favoriser un passage à l'acte aux conséquences funestes. Eux les premiers, qui pensent connaître toutes les ficelles du crime parfait, ne sont pas à l'abri de faire de leurs fictions une réalité.
Prenez par exemple Jerry Grey, ce célèbre romancier, qui ne sait plus très bien aujourd'hui où il en est. À force d'inventer des meurtres plus ingénieux les uns que les autres, n'aurait-il pas fini par succomber à la tentation ? Dans cette institution où on le traite pour un Alzheimer précoce, Jerry réalise que la trame de son existence comporte quelques inquiétants trous noirs. Est-ce dans ses moments de lucidité ou dans ses moments de démence qu'il est persuadé d'avoir commis des crimes ? Quand la police commence à soupçonner les histoires de Jerry d'être inspirées de faits réels, l'étau commence à se resserrer. Mais, comme à son habitude, la vérité se révèlera bien différente et bien plus effroyable que ce que tous ont pu imaginer !

La 7 de la page 7 : « Non, si j'avais une fille, je le saurais. »

Un écrivain qui souffre d'Alzheimer confond ses souvenirs avec les histoires qu'il a inventées. En voilà un programme alléchant pour ce thriller néo-zélandais. On entre dans ce roman avec les mêmes doutes que son personnage principal. Que peut-on croire ? Est-on dans la réalité ? Dans les dérives d'un cerveau malade ? La frontière entre fiction et réalité est tellement ténue que le lecteur en vient à douter de tous et de tout. Tout comme Jerry. Ce roman, basé sur le doute, est assez bien maîtrisé par Cleave et on passe un bon moment de lecture.
Jerry écrit un carnet alors qu'il n'a pas encore complètement perdu le sens des réalités. Mais même de cela, Cleave parvient à nous faire douter. On suspecte tout le monde sans vraiment savoir si on peut faire confiance à notre héro principal. C'est plutôt bien trouvé de la part de Cleave. Toutefois, si les personnages et l'intrigue sont bien menés, on peut regretter que Cleave en dévoile peut-être un peu trop et un peu trop vite. Et du coup, on en découvre trop vite par soi-même, gâchant ainsi la « surprise » finale de Cleave. On s'en doutait et c'est bien dommage car on aurait voulu être surpris à la fin. Le roman aurait été alors maîtrisé de bout en bout. Un bon roman qui laisse quand même à désirer sur la fin.

Extrait : « Cette entrée ne va pas commencer par une bonne ou une mauvaise nouvelle, mais par une nouvelle étrange. Deux pages ont été arrachées à ce carnet, celles qui suivaient la dernière entrée. Ce n'est pas toi qui l'as fait, et tu n'as pas écrit dessus non plus car toi-moi-nous sommes toujours sains d'esprit. Deux pages blanches disparues. Il est cependant possible que Sandra les ait arrachées pour l'une ou l'autre des raisons suivantes. Soit elle veut que tu penses avoir écrit quelque chose mais que tu ne te souviennes pas quoi, auquel cas son mobile est obscur. Soit elle a trouvé le carnet et était en train de le lire quand elle a renversé quelque chose sur ces pages et a été obligée de les arracher. En tout cas, dorénavant, tu vas devoir faire plus attention à ne pas laisser le carnet sorti. »

mardi 13 mars 2018

"Sleeping Beauties" de Stephen et Owen King

« Sleeping Beauties » de Stephen et Owen King.
Ed. Albin Michel 2018. Pages 828.

Résumé : Un phénomène inexplicable s'empare des femmes à travers la planète : une sorte de cocon les enveloppe durant leur sommeil et si l'on tente de les réveiller, on prend le risque de les transformer en véritable furies vengeresses. Bientôt, presque toutes les femmes sont touchées par la fièvre Aurora et le monde est livré à la violence des hommes. A Dooling, petite ville des Appalaches, une seule femme semble immunisée contre cette maladie. Cas d'étude pour la science ou créature démoniaque, la mystérieuse Evie échappera-t-elle à la fureur des hommes dans un monde qui les prive soudainement de femmes ?

La 7 de la page 7 : « C'est l'incident déclencheur. »

Dans un monde où le harcèlement des femmes fait la une tous les jours et où l'Amérique a voté pour la personne la moins qualifiée pour s'asseoir dans le fauteuil de président, la famille King nous offre ici une vision du monde sans les femmes. Elles s'endorment pour ne plus se réveiller. Non pas qu'elles meurent, elles sont « juste » recouvertes d'un espèce de cocon qui si il leur est enlevé, les rend furieuses (vraiment furieuses)
Et pendant que la Terre voit le nombre de ses membres féminins diminuer et atterrir dans un autre monde, les hommes tentent de trouver une solution. Ils paniquent. Ils ont peur. Et ils font tout ce qu'ils ne sont pas supposés faire. King, père et fils, mettent en avant le côté guerrier de l'homme, la volonté de toujours vouloir tout contrôler. Alors bien sûr, on nous sert des salauds de la pire espèce, mais aussi des maladroits, des justes et des perdus. Ils ne sont pas tous foncièrement mauvais. Le but du roman n'est pas de nous montrer à quel point les femmes sont gentilles et à quel point les hommes sont méchants... Non. On a de tout. Même du côté féminin, ils nous démontrent que tout n'est ni tout blanc ni tout noir. Elles aussi ont leur part d'ombre.
Et c'est là qu'entre en jeu, Evie. Être surnaturel qui tente de créer un autre monde, qui pactise avec les animaux et qui semble en savoir beaucoup plus que ce qu'elle est supposée savoir.
Les auteurs nous entraînent dans le chaos et nous servent un roman qui nous parle, surtout, de la nécessité de pouvoir tous vivre ensemble.
Certains pourraient critiquer le côté manichéen du roman : d'un côté, les hommes, désorganisés et violents. De l'autre côté, les femmes, organisées et vivant en paix. Certes, on pourrait le voir de cette façon mais cela serait une réduction un peu trop facile. Car si l'histoire peut parfois paraître dichotomique, les personnages, eux, sont particulièrement complexes et bien réussis. Et c'est là la grande force de ce roman. On pourrait facilement tomber dans la facilité mais les personnages nous en empêchent. Ils sont tous menteurs, hommes comme femmes. Ils ont tous quelque chose à cacher, quelque chose à se reprocher.
Si il y a quelque longueurs, on leur pardonnera. On écrit pas 828 pages sans temps mort. Il faut penser à la santé mentale du lecteur... Mais la plupart du temps, on a pas le temps de s'ennuyer et quand père et fils embrayent et nous lancent dans leur histoire, il devient très difficile de lâcher le livre. La grosse force de ce roman réside dans ses personnages particulièrement fournis et complexes. On passe un excellent moment de lecture. La maîtrise de Stephen King semble être héréditaire.

Extrait : « Elle se souvint de quelle manière Clint avait renoncé à exercer dans le privé, sans même ouvrir la discussion. Tout le mal qu'ils s'étaient donné pour monter ce cabinet, le soin avec lequel ils avaient choisi, non seulement l'emplacement, mais aussi la ville, optant finalement pour Dooling car c'était le centre urbain le plus peuplé de la région où il n'y avait pas déjà un psychiatre également médecin généraliste. »

lundi 12 mars 2018

"Level 26" de Anthony E. Zuiker

"Level 26" de Anthony E. Zuiker
Ed. J'ai Lu 2010. Pages 441.
Titre Original : « Dark Origins »

Résumé : Les policiers du monde entier répartissent les criminels sur une échelle de 1 à 25, selon leur dangerosité. Un tueur échappe à cette classification. Cruel à l'extrême, insaisissable, sévissant sur tous les continents, il ne connaît aucune limite ni aucun mode opératoire de prédilection : c'est le niveau 26. Un seul homme peut l'arrêter. Il s'appelle Steve Dark, et depuis que ce monstre a massacré sa famille, il s'est juré de cesser de traquer les psychopathes. Mais bientôt, il n'aura plus le choix.

La 7 de la page 7 : « Mais lorsqu'il se retourna pour tirer de nouveau, le monstre avait déjà disparu : il l'entendit sauter à travers un vitrail et atteindre le toit de l'église. »

Soyons très francs, « Level 26 » n'est pas un roman particulièrement intéressant ni particulièrement bien écrit. La seule réelle attraction de ce roman réside dans son côté interactif. Certains chapitres renvoient à un lien Youtube où se trouve des capsules complémentaires à l'histoire écrite. C'est novateur et c'est ça qui m'a particulièrement interpellée. Alors oui, c'est une bonne idée de principe. Et en même temps, c'est une idée désastreuse. Déjà les acteurs choisis ne sont pas ceux que je me représentais. On a donc forcé des visages dans ma périphérie de lecture, ce qui m'a plutôt agacée. Ensuite, certaines capsules n'étaient plus disponibles. Et cela n'a en rien entraver ma lecture. Quel est l'intérêt de l'interactivité du roman ? Du coup, plus aucun...
Mais l'histoire alors ? Servie par des personnages qui souffrent d'une écriture « super-héros » qui les rend peu sympathiques. Un méchant qui va à l'encontre de toute notion de vraisemblance. Un level 26, un super serial killer plus intelligent et efficace que ce qu'on a jamais connu auparavant.On y croit pas un seul instant. L'écriture est simple et ne contient aucune complexité, aucune nuance. Les clichés se suivent et se ressemblent.
Une très grosse déception qui ne me fera pas lire la suite des aventures.

Extrait : « Tom Riggins n'avait jamais aimé la salle de crise de la DAS. Elle ressemblait trop à une salle de cours, avec ses longs bureaux en Formica disposés sur quatre rangées. Riggins se tenait devant les trois écrans HD dits intelligents, des modèles tactiles encore inconnus du grand public, où un simple geste suffisait pour déplacer un fichier, améliore un cliché ou informer les agents sur le terrain. »

vendredi 9 mars 2018

"La fille d'avant"de JP Delaney

« La fille d'avant » de JP. Delaney
Ed Le Livre de Poche 2018. Pages 506.
Titre Original : «The Girl Before »

Résumé : C’est sans doute la chance de sa vie : Jane va pouvoir emménager dans une maison ultra-moderne dessinée par un architecte énigmatique… avant de découvrir que la locataire précédente, Emma, a connu une fin aussi mystérieuse que prématurée. À mesure que les retournements de situation prennent le lecteur au dépourvu, le passé d’Emma et le présent de Jane se trouvent inextricablement liés dans ce récit hitchcockien, saisissant et envoûtant, qui nous emmène dans les recoins les plus obscurs de l’obsession.

La 7 de la page 7 : «Le propriétaire est un architecte. »

Tout d'abord, qui est JP Delaney ? Le pseudonyme de Anthony Capella ou encore Tony Strong. A vous de choisir. Ensuite, « La fille d'avant » est déjà en cours de production cinématographique sous la direction de Ron Howard. Et ça, cela peut être un très bon signe comme cela peut en être un très mauvais avant de commencer sa lecture. Mais comme ce bouquin m'a été recommandé par une de mes collègues qui, sûre d'elle, m'a annoncé que « je ne pouvais pas ne pas aimer ». J'aime les défis, j'ai donc commencé « La Fille d'avant ».
Et elle avait raison. Il faudrait être particulièrement difficile pour ne pas aimer ce thriller psychologique. On pourra souligner une lenteur parfois récurrente au fil des pages, mais personnellement, je n'ai pas vu le temps passer.
Un petit boulet de canon maîtrisé de main d'expert par Delaney. Deux femmes. Une morte, l'autre en deuil. La même maison hautement technologique, érigée par un architecte plus que suspect. La même trame. La même histoire qui se répète. Mais fondamentalement pas le même récit. Delaney nous prouve avec efficacité que la même histoire peut être bien différente selon les personnages que l'on choisit. Et c'est brillant. Le lecteur se fait balader sans arrêt et cela pour son plus grand plaisir. L'écriture fluide permet au lecteur de s'imprégner de cette histoire qui devient de plus en plus complexe, se retrouvant dans l'impossibilité de relâcher son attention et de continuer à tourner les pages sans s'arrêter, jusqu'au dénouement final.
Mais au-delà de l'histoire, pourtant déjà très efficace, ce sont les personnages de Delaney qui font toute la différence. Emma, Jane, Edward, Simon. Qui sont-ils réellement ? A qui faire confiance ? Delaney nous offre des tableaux mouvants de chacun d'entre eux. On ne sait plus où donner de la tête. Qui croire ? On est bousculé dans nos certitudes. Qui sont les réelles victimes ? Le bourreau est-il celui que l'ont croit ? On avance avec délectation dans le sordide et on en redemande, jusqu'à l'explosion finale qui nous laisse pantois. On a été pris par surprise et on souhaite à « La fille d'avant » de connaître le même succès que « La fille du train ».
Un régal.


Extrait : « Bon, d'accord, la maison est extraordinaire. Stupéfiante, époustouflante, incroyable. Les mots ne peuvent pas lui rendre justice. La rue était trompeuse : deux rangées de grandes maisons quelconques, avec cette combinaison de brique rouge victorienne et de fenêtres à guillotine que l'on voit dans tout North London, gravissant la colline vers Cricklewood comme une ribambelle de figurines découpées dans du papier à journal, chacune étant la réplique exacte de sa voisine. Seules les couleurs des portes et des petites fenêtres au-dessus les différenciaient. »