"Moravagine" de Blaise Cendrars.
Ed. Les Cahiers Rouges Grasset, 2013. Pages 278.
Résumé: Roman d’aventure, poème épique et portrait délirant d’un fou malfaisant
et génial, l’œuvre a sans doute été, avant tout, pour l’auteur une
tentative d’exorcisme par laquelle il s’est délivré de son double et a
conquis sa liberté de créateur. Moravagine est l’expression de cet Autre
que tout romancier porte en lui. Moravagine n’est pas exclusivement
Cendrars, mais en lui confiant sa folie, en le dotant de son énergie
destructrice, le romancier a expulsé de lui son Mr. Hyde. L’histoire,
pleine de bruit et de fureur, promène Raymond (un autre « je »
fascinant) de la Hongrie à la Russie, de la forêt amazonienne à la
Nouvelle Orléans. L’ombre maudite que Cendrars cherche à exorciser dans
cette œuvre envoûtante est tapie dans une profondeur inconsciente où se
bousculent la haine, la violence et la folie. Elle le hante et il tente
d’y résister de toutes ses forces. Au cœur du roman : la complexité de
la nature humaine. L’extrême richesse de la démarche de Cendrars est de
ne pas tomber dans l’exotisme facile et de soigner ses mots qui
blessent, s’affrontent, sont complices tantôt dans l’extase fantastique
maléfique tantôt dans la contemplation poétique. Tueur de femmes,
terroriste qui fait sauter toutes les frontières, traitre, espion,
mouchard, ce Moravagine affronte un monde effrayant et monstrueux, perd
ses repères spatio-temporels jusqu'au sentiment de son individualité. On
visualise au microscope le grossissement démesuré d’une imagination
hallucinée où toutes les confusions ont lieu avec le dedans (images
mentales) et le dehors (les paysages qui défilent à cent à l'heure, les
arbres qui se bousculent et qui tombent, les lignes de chemin de fer qui
se plaignent sourdement au passage des trains chargés de morts, les
hurlements des peuples en révolution et les danses cruelles des Indiens
bleus). C'est beau comme la poésie de Cendrars, c'est dingue comme sa
vie où se rejoignirent l’action directe et l’aventure vagabonde de
l’esprit. Ce roman dense, épique, réaliste, fantastique, d’une vitalité
incroyable est une création et une invitation à une lecture hors du
commun. Un tourbillon inoubliable dont on ne sort pas indemne. En
épitaphe, une citation de son ami Rémy de Gourmont, tirée de Sixtine,
qui illustre bien ce qui vous attend : « …je montrerai comment ce peu de
bruit intérieur, qui n’est rien, contient tout, comment, avec l’appui
bacillaire d’une seule sensation, toujours la même et déformée dès son
origine, un cerveau isolé du monde peut se créer un monde… »
La 7 de la page 7: "Instigateur déjà de la robe-réforme et des sous-vêtements hygiéniques en poils de chameau, il était aussi le promoteur du "tout à l'étuve", ce volepük de la cuisine."
Dans "Moravagine", Cendrars joue avec l'histoire, avec les personnages et avec le lecteur. Qui est le narrateur? Raymond ou Cendrars lui-même? Soit.
Le récit nous fait naviguer de la Russie aux Terres des Amérindiens avec une facilité déconcertante.
Œuvre majeure de Cendrars, l'auteur y excelle dans la facilité qu'il a de construire et déconstruire son texte aidé de son Moravagine complètement fou.
Tantôt psychopathe assassin tantôt terroriste, Moravagine est un tourbillon d'émotions et de situations. On en redemande et c'est avec regret qu'on referme le livre.
Extrait: "En 1900, je terminais ma médecine. Je quittais Paris au mois d'août pour me rendre au sanatorium de Waldensie, près de Berne, en Suisse. Mon maître et ami, le célèbre syphiligraphe d'Entaignes, m'avait chaleureusement recommandé au docteur Stein, directeur chez qui je devais entrer comme premier assistant."
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