“La vérité toute nue” de David
Lodge.
Ed. Rivages 2007. Pages 116.
Titre original: “Home Truths”
Résumé: À qui David Lodge
veut-il faire rendre gorge ? À Adrien, l’écrivain qui ne se remet pas d’un
premier succès des années auparavant ? À Éléonore, sa femme, avec qui il vit
retiré à la campagne ? À Sam, leur ami d’université qui a réussi à Hollywood
dans les feuilletons télévisés ? À Fanny Tarrant, la jeune journaliste
effrontée qui publie un article féroce sur Sam dans un journal du dimanche ?
Sur qui se refermera le piège imaginé par Sam avec la complicité d’Adrien ?
Brillant, toujours drôle, David Lodge s’intéresse au conflit entre littérature
et exigences médiatiques.
La 7 de la
page 7: “Eléonore: Tiens, cache ça.”
Texte
théâtral contemporain, “La vérité toute nue” est une critique acerbe des médias
plutôt réussie. Tout d’abord, les didascalies de Lodge nous permettent de bien
mettre en place un texte assez riche. Adrien et Eléonore sont mariés. Dès le
début de son texte, Lodge met bien en évidence les tensions déjà présentes dans
le couple:
“Adrien: Tu sais que ces corn-flakes
contiennent quatre-vingt-quatre pour cent de carbone, dont huit pour cent de
glucides?
Eléonore, absorbée dans son journal, ne
répond pas. Adrien prend une autre boîte et l’examine.
Adrien: L’All-bran contient seulement
quarante-six pour cent d’hydrates de carbone, mais dont dix-huit pour cent sont
des glucides. Qu’est-ce qui vaut mieux? Dix-huit pour cent de quarante-six ou
huit pour cent de quatre-vingt-quatre?
Eléonore ne répond pas. Adrien prend une
autre boîte.
Adrien: Purmuesli est sûrement meilleur.
Soixante-sept pour cent d’hydrates de carbone dont moins de un pour cent de
glucides. Et pas de sel. C’est peut-être pour ça que ça n’a plus aucun gout.”
Adrien parle
avec sa femme de choses qui visiblement ne l’intéressent absolument pas. Mais
cette routine semble quotidienne. Ni l’un, ni l’autre ne fait réellement
attention à l’autre.
Si Lodge met
directement en avant les conflits entre Adrien et Eléonore, il ne met pas moins
de temps pour s’engager dans la relation entretenue par Adrien et Sam. Le
personnage de Sam n’est pas encore apparu dans la pièce, mais Lodge prend la
décision de directement l’inclure dans le discours de la pièce. Par le biais de
l’introduction de Sam, Lodge nous sert également le portrait du dernier
personnage,Fanny. C’est par sa critique journalistique qu’on est mis en
présence, non physique, de Fanny.
“Eléonore (lisant): Il possède une
ferme-manoir du XVIIème dans le Kent avec cent acres de terres cutlivables. On
dirait qu’il s’amuse à jouer les paysans, quoiqu’à y regarder de plus près, il
se pavane sur ses terres avec des jeans Ralph Lauren serrés dans des bottes de
cow-boy et soutenus par des bretelles. Il a besoin de bretelles, pour tout
dire, à cause de son ventre proéminent. Le poids est un sujet délicat avec lui.
Surtout, ne questionnez jamais Sam sur son poids, dit de lui u ami, ni sur sa
moumoute. J’ignorais qu’il portait une moumoute. Un ami? (A Adrien.) C’est toi?
Adrien: Où est la marmelade allégée?
Eléonore: (…) Mme Sharp ayant quitté le
ranch trois mois plus tôt pour partir avec le réalisateur du dernier feuilleton
de son mari. (…) Je veux bien le croire. Est-ce que ça la regarde?
Adrien: Elle fait son job.
Eléonore: (…) Je l’ai quitté avec la
certitude d’avoir trouvé la réponse: l’insupportable vanité de cet homme.”
Eléonore guette une réaction d’Adrien. Il
étale une fine couche de confiture sur une tranche de pain grillé.
Adrien: Un peu dur.
Eléonore: Dur! C’est infect! (…) Sam va être
effondré quand il verra ça.
Adrien: Mouais, il l’a peut-être un peu
cherché.
Eléonore: Tu n’es pas très sympa avec ton
meilleur ami.
Adrien: J’ai dit “mon plus ancien ami”. “
Ce qui nous
amène au personnage de Sam. Peu présent physiquement, il est pourtant palpable
durant toute la pièce. Ce personnage est particulièrement (et ouvertement) misogyne. Mais c’est grâce à ce personnage que Lodge met en place sa critique
des médias. Dans cette vision, Lodge n’épargne personne: ni les médias ni ceux
qui en profitent.
“Sam: La culture de la jalousie, tu veux
dire. Il y a des gens dans ce pays qui ne supportent pas la réussite de leur
voisin. Si tu bosses dur, que tu te fais un nom, que tu ramasses un peu de
fric, ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour avoir ta peau.
Adrien: Mais c’est toi qui leur offres ce
pouvoir en acceptant d’être interviewé par des gens comme Fanny Tarrant.”
N’oublions
pas que Lodge est anglais. La presse anglaise fait parfois (souvent) des choix
éditoriaux douteux.
Sam propose
alors à Adrien de piéger Fanny. Adrien n’hésite pas un seul instant. Grâce à ce
procédé, on entre directement dans le vif du sujet. Que doit taire Adrien? Que
peut-il révéler? Que doit-il révéler pour être assez intéressant pour Fanny?
De fil en
aiguille, Lodge nous expose les tensions entre les personnages. Tout le monde
est éclaboussé par la plume de Lodge. Qui est l’interviewé? Qui est
l’interviewer? Qui se joue de qui? Lodge prend le parti d’exposer aussi bien le
sujet que l’auteur. Tout deux ont besoin l’un de l’autre. Critiquer un média
mais jouer son jeu est hypocrite. Lodge est ici, très clair. Si vous voulez
vivre heureux loin des médias, restez, tout simplement, très loin d’eux. Ne
vous révélez pas.
Adrien comme
Fanny se disent trop de choses personnelles. Lorsque Fanny quitte Adrien, ce
dernier sait que l’article qu’elle pourrait écrire lui serait préjudiciable.
Adrien le sait. Eléonore le sait. Fanny le sait. Cette dernière est celle, qui
au final, aura le dernier mot puisque c’est elle qui écrira l’article.
C’est donc
dans la tension que Eléonore, Adrien et Sam attendent la parution de l’article.
Mais soudain, sans prévenir, Fanny vient leur annoncer une bonne nouvelle.
L’article passera inaperçu puisqu’il sera évincé par une nouvelle beaucoup plus
importante: La mort de Diana. Une information en chasse une autre.
Non
seulement “La vérité toute nue” est une critique intelligente des médias et de
ceux qui en profitent mais c’est également extrêmement bien écrit. Lodge tape
juste et son texte est totalement maîtrisé. Nous vivons dans un monde dirigé
par les médias. Cette pièce absorbe un mal sociétal adaptable à tout moment. Il
y a toujours un journaliste pour écrire et une célébrité pour collaborer. Mais
l’information reste une variable imprévisible qui peut disparaître aussi vite
qu’elle est apparue. Notre société est voyeuse, s’en plaint, puis en redemande.
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