mardi 16 février 2016

"La vérité toute nue" de David Lodge


“La vérité toute nue” de David Lodge.
Ed. Rivages 2007. Pages 116.
Titre original: “Home Truths”

Résumé: À qui David Lodge veut-il faire rendre gorge ? À Adrien, l’écrivain qui ne se remet pas d’un premier succès des années auparavant ? À Éléonore, sa femme, avec qui il vit retiré à la campagne ? À Sam, leur ami d’université qui a réussi à Hollywood dans les feuilletons télévisés ? À Fanny Tarrant, la jeune journaliste effrontée qui publie un article féroce sur Sam dans un journal du dimanche ? Sur qui se refermera le piège imaginé par Sam avec la complicité d’Adrien ? Brillant, toujours drôle, David Lodge s’intéresse au conflit entre littérature et exigences médiatiques.

La 7 de la page 7: “Eléonore: Tiens, cache ça.”

Texte théâtral contemporain, “La vérité toute nue” est une critique acerbe des médias plutôt réussie. Tout d’abord, les didascalies de Lodge nous permettent de bien mettre en place un texte assez riche. Adrien et Eléonore sont mariés. Dès le début de son texte, Lodge met bien en évidence les tensions déjà présentes dans le couple:
Adrien: Tu sais que ces corn-flakes contiennent quatre-vingt-quatre pour cent de carbone, dont huit pour cent de glucides?
Eléonore, absorbée dans son journal, ne répond pas. Adrien prend une autre boîte et l’examine.
Adrien: L’All-bran contient seulement quarante-six pour cent d’hydrates de carbone, mais dont dix-huit pour cent sont des glucides. Qu’est-ce qui vaut mieux? Dix-huit pour cent de quarante-six ou huit pour cent de quatre-vingt-quatre?
Eléonore ne répond pas. Adrien prend une autre boîte.
Adrien: Purmuesli est sûrement meilleur. Soixante-sept pour cent d’hydrates de carbone dont moins de un pour cent de glucides. Et pas de sel. C’est peut-être pour ça que ça n’a plus aucun gout.”
Adrien parle avec sa femme de choses qui visiblement ne l’intéressent absolument pas. Mais cette routine semble quotidienne. Ni l’un, ni l’autre ne fait réellement attention à l’autre.  
Si Lodge met directement en avant les conflits entre Adrien et Eléonore, il ne met pas moins de temps pour s’engager dans la relation entretenue par Adrien et Sam. Le personnage de Sam n’est pas encore apparu dans la pièce, mais Lodge prend la décision de directement l’inclure dans le discours de la pièce. Par le biais de l’introduction de Sam, Lodge nous sert également le portrait du dernier personnage,Fanny. C’est par sa critique journalistique qu’on est mis en présence, non physique, de Fanny.
Eléonore (lisant): Il possède une ferme-manoir du XVIIème dans le Kent avec cent acres de terres cutlivables. On dirait qu’il s’amuse à jouer les paysans, quoiqu’à y regarder de plus près, il se pavane sur ses terres avec des jeans Ralph Lauren serrés dans des bottes de cow-boy et soutenus par des bretelles. Il a besoin de bretelles, pour tout dire, à cause de son ventre proéminent. Le poids est un sujet délicat avec lui. Surtout, ne questionnez jamais Sam sur son poids, dit de lui u ami, ni sur sa moumoute. J’ignorais qu’il portait une moumoute. Un ami? (A Adrien.) C’est toi?
Adrien: Où est la marmelade allégée?
Eléonore: (…) Mme Sharp ayant quitté le ranch trois mois plus tôt pour partir avec le réalisateur du dernier feuilleton de son mari. (…) Je veux bien le croire. Est-ce que ça la regarde?
Adrien: Elle fait son job.
Eléonore: (…) Je l’ai quitté avec la certitude d’avoir trouvé la réponse: l’insupportable vanité de cet homme.”
Eléonore guette une réaction d’Adrien. Il étale une fine couche de confiture sur une tranche de pain grillé.
Adrien: Un peu dur.
Eléonore: Dur! C’est infect! (…) Sam va être effondré quand il verra ça.
Adrien: Mouais, il l’a peut-être un peu cherché.
Eléonore: Tu n’es pas très sympa avec ton meilleur ami.
Adrien: J’ai dit “mon plus ancien ami”. “
Ce qui nous amène au personnage de Sam. Peu présent physiquement, il est pourtant palpable durant toute la pièce. Ce personnage est particulièrement (et ouvertement) misogyne. Mais c’est grâce à ce personnage que Lodge met en place sa critique des médias. Dans cette vision, Lodge n’épargne personne: ni les médias ni ceux qui en profitent.
Sam: La culture de la jalousie, tu veux dire. Il y a des gens dans ce pays qui ne supportent pas la réussite de leur voisin. Si tu bosses dur, que tu te fais un nom, que tu ramasses un peu de fric, ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour avoir ta peau.
Adrien: Mais c’est toi qui leur offres ce pouvoir en acceptant d’être interviewé par des gens comme Fanny Tarrant.”
N’oublions pas que Lodge est anglais. La presse anglaise fait parfois (souvent) des choix éditoriaux douteux.
Sam propose alors à Adrien de piéger Fanny. Adrien n’hésite pas un seul instant. Grâce à ce procédé, on entre directement dans le vif du sujet. Que doit taire Adrien? Que peut-il révéler? Que doit-il révéler pour être assez intéressant pour Fanny?
De fil en aiguille, Lodge nous expose les tensions entre les personnages. Tout le monde est éclaboussé par la plume de Lodge. Qui est l’interviewé? Qui est l’interviewer? Qui se joue de qui? Lodge prend le parti d’exposer aussi bien le sujet que l’auteur. Tout deux ont besoin l’un de l’autre. Critiquer un média mais jouer son jeu est hypocrite. Lodge est ici, très clair. Si vous voulez vivre heureux loin des médias, restez, tout simplement, très loin d’eux. Ne vous révélez pas.
Adrien comme Fanny se disent trop de choses personnelles. Lorsque Fanny quitte Adrien, ce dernier sait que l’article qu’elle pourrait écrire lui serait préjudiciable. Adrien le sait. Eléonore le sait. Fanny le sait. Cette dernière est celle, qui au final, aura le dernier mot puisque c’est elle qui écrira l’article.
C’est donc dans la tension que Eléonore, Adrien et Sam attendent la parution de l’article. Mais soudain, sans prévenir, Fanny vient leur annoncer une bonne nouvelle. L’article passera inaperçu puisqu’il sera évincé par une nouvelle beaucoup plus importante: La mort de Diana. Une information en chasse une autre.
Non seulement “La vérité toute nue” est une critique intelligente des médias et de ceux qui en profitent mais c’est également extrêmement bien écrit. Lodge tape juste et son texte est totalement maîtrisé. Nous vivons dans un monde dirigé par les médias. Cette pièce absorbe un mal sociétal adaptable à tout moment. Il y a toujours un journaliste pour écrire et une célébrité pour collaborer. Mais l’information reste une variable imprévisible qui peut disparaître aussi vite qu’elle est apparue. Notre société est voyeuse, s’en plaint, puis en redemande.

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