"Il faut qu'on parle de Kevin" de Lionel Shriver
Ed. J'ai Lu 2008. Pages 607.
Titre Original: "We need to talk about Kevin"
Résumé: À la veille de ses seize ans, Kevin Khatchadourian exécute neuf
personnes dans son lycée. A travers des lettres au père dont elle est
séparée, sa mère retrace l’itinéraire meurtrier de leur fils.
La 7 de la page 7: "Quand je prends une douche, j'ouvre le robinet d'eau chaude au maximum, et je laisse le froid fermé; la température me permet de ne pas grelotter, mais le fait de savoir qu'il n'y a aucune réserve ôte toute sérénité à mes ablutions."
J'avais très envie de lire ce roman. J'avais décidé de
prendre mon temps pour le lire. J'avoue que le concept m'intriguait. On entend
souvent que tel ou tel ado est entré dans son école, armes aux poings. On
condamne. On pleure les morts. Mais très rarement, on se demande réellement
pourquoi. On parle souvent du syndrome de "tête de turc" ou de
"bouc-émissaire" qui rend la vie impossible à ces jeunes adultes
incompris par notre société. Ce qui amène à une tragédie sans nom, la mort de
leurs camarades d'école et parfois, même, la leur.
J'ai donc commencé ce livre avec la ferme intention de le
lire à mon aise, tout en espérant qu'il ne tomberait pas dans des clichés bien
trop faciles pour un sujet aussi grave.
J'ai vraiment essayé mais impossible de faire autrement que
de lire page après page, inlassablement, sans m'arrêter. Au final, il ne m'aura
pris que deux jours. Donc si certains se posaient la question, oui j'ai adoré
ce livre. Et voici pourquoi.
Le sujet du livre n'est pas Kevin mais sa mère Eva qui
écrit à son mari dont elle est séparée. On sait presque tout dès le départ.
Kevin est un assassin de masse. Mais ce n'est même pas non plus le sujet du
livre. On touche ici à un sujet beaucoup plus sensible. Comment devient-on la
mère d'un assassin? Comment vit-on avec? Et après, qu'est-ce qu'il nous
reste?
Page après page, on vit avec cette mère. Elle nous raconte
sa vie, ses doutes, son besoin de comprendre, ses angoisses... Et on sait dès
qu'on ouvre le livre qu'un drame est en préparation car elle écrit ces lettres
après le drame. Elle revient sur ce qu'elle pense important. On assiste à ses
visites à son fils emprisonné. On se pose les mêmes questions qu'elle. On
aurait envie de la réconforter. De lui dire que, non, elle n'y est probablement
pour rien. On doute avec elle. On se rend compte en même temps qu'elle que son
fils n'est pas psychologiquement équilibré. Mais le voit-on parce qu'on sait?
Est-ce que nous aurions, nous-mêmes, vus les signes sans savoir qu'un jour il
tuerait? C'est tellement facile de comprendre après. On est en compagnie d'Eva.
Et cela nous oblige a être face à Kevin. Et oui, c'est un assassin de masse!
Oui, oui et oui! Mais d'une certaine manière, on l'a vu grandir aussi. C'est
NOTRE Kevin à nous aussi...
Il y a de nombreuses manières d'interpréter ce livre tellement
il est riche. Pudique aussi alors qu'il expose tout. On se rend compte très
vite que Eva se torture dans le vide. Son fils avait un problème dès le départ.
Il n'a pas un comportement normal. Il est d'un naturel dévastateur avec son
père alors qu'il montre son vrai visage à sa mère. Mais c'est sa mère. Elle se
pose la question de savoir si elle aime son fils. Elle a sa réponse. Elle est
brute mais elle a le mérite d'être fondamentalement cohérente. Le monstre des
uns est le fils des autres. Kevin a fait des choses innommables. Mais il
reste son fils.
On en vient alors à Kevin... On sait que ce garçon a un
sérieux soucis. On le sait depuis le départ. On le comprend manipulateur. Alors
pourquoi est-il si vrai avec sa mère? On ne nous donne pas de réelle réponse.
La fin nous suggère peut-être simplement qu'avec elle, il n'a jamais eu besoin
de tricher. Je n'irais pas jusqu'à dire que son acte est un "Ode à la
mère" mais dans un esprit aussi psychologiquement instable que celui de
Kevin, tout est possible.
La personne qui commence ce livre n'est plus la même
personne qui termine ce livre. Inexorablement, on avance vers un massacre
annoncé. Mais on continue, parce que nous, aussi, on veut comprendre. Alors
qu'au final, ce qu'on aura compris, c'est que parfois... il n'y a simplement
rien à comprendre.
Extrait: "Comme tant de nos voisins qui se cramponnent à une tragédie pour sortir
de l'anonymat - esclavage, inceste, suicide - , j'avais exagéré le
détail ethnique pesant sur mes épaules pour me singulariser. J'ai appris
depuis qu'on ne spécule pas sur la tragédie. Seuls les épargnés, les
bien nourris et les satisfaits peuvent convoiter la souffrance comme une
veste de créateur. Je ferais volontiers don de mon histoire à l'Armée
du Salut pour qu'une autre godiche en mal de couleur s'en pare et
l'emporte avec elle."
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